Juan Francisco Casas multiplie les feintes de la nudité dont il brouille les pistes sans pour autant la cacher. Une vérité s’approche par morceaux, fragments et poses qui interrogent jusqu’à la mise en scène des modèles. La nudité regarde le voyeur la regarder, s’interpose mais sans voile. Aux situations amoureuses et sexuelles se substituent leurs parodies dans les éclats de rire des modèles. Chaque œuvre devient un piège dans lequel avancent de concert dérision et sidération.
La force des femmes rigolardes plutôt qu’heureuses ne peut que susciter des interrogations. Juan Francisco Casas plus que l’exploration de ses propres fantasmes rapproche de la transgression de l’image érotique. Les femmes (comme – ailleurs – les hommes que l’artiste peint ou dessine) dérangent par leurs attitudes la contemplation cérémonielle de la nudité ou de la beauté.
Loin d’un simple déballage impudique surgit une forme de pudeur dans l’obscénité (ou la feinte d’obscénité). Le corps gonflé d’un rire, d’un sourire ou déformé d’une grimace sert à réparer le trauma d’une scène plus ou moins primitive voire terrorisante pour la partie la plus profonde et insaisissable de l’inconscient. Par le sourire ou la torsion du faciès le plus fascinant est sinon retiré du moins mis à distance. Il s’agit de voir sans savoir ce que cette « grimace » – accordée au cérémonial de figuration comme de liturgie libidinale – cache en une totémisation intempestive.
La grimace ou le rire empêchent la montée d’un cannibalisme mélancolique. Quant au nu il renvoie au rapport de la pudeur et de l’obscénité. Ce rapport pose le sens de la conception de l’amour qu’une telle narration articule. L’artiste ne résout pas cette interrogation. Mais ne faudrait-il pas voir dans ce spectacle de l’intime une fonction critique sur le sens de la nudité comme du portrait dans l’art?
Le « paquet » de chair offert sur les plis d’un lit exprime néanmoins la foi de l’artiste dans son pouvoir à régénérer des genres picturaux soumis à une dissidence contrôlée. Il est possible que l’humour sauve tout. Néanmoins chez Juan Francisco Casas il accouche plutôt d’une sorte de douleur qui dans ses portraits d’hommes trouvent d’autres formes. Défigurés, grimaçants ils peuvent faire penser à des grotesques dérisoires et simiesques. Dès lors la force de l’œuvre de Juan Francisco Casas tient à l’ironie et l’outrance avec lesquelles il aborde la représentation du féminin comme du masculin.
Des « poupées » de l’artiste provient un « effet-mère » que l’éphémère du rire – quasiment incestueux en une telle situation – engage. Le sourire néanmoins n’oblitère en rien un grouillement, giboyeux de la chair auquel le sourire propose un bâillon implicite. Il retient, enserre la chair impétueuse par le double jeu de l’offrande et de la rétention. D’un côté il y a l’appel à l’ouverture, à la prise, et de l’autre son impossibilité. Le corps est endigué, retenu, compressé, entraîné vers la perte de sérieux et non vers le simple abandon. À l’orgie supposée (espérée) s’oppose l’espace où le désir lui-même est plié par le rire.
Juan Francisco Casas joue donc sur la juxtaposition de deux registres opposés: la jubilation du rire et le cérémonial érotique. Le corps fixé sur le support se « distrait » de l’enlacement libidinal. Surgissent – pas rapport au portrait et à la thématique légère – l’écart, l’écartement.
La femme est retenue face à l’abandon par le flux du rire. Contre l’espérance programmée demeure la dérision sous différente forme « singe ». Rien ne peut se passer. Demeure, contre l’attente et l’atteinte, la privation du désir ouvert néanmoins par la nudité. Le regard la traverse mais elle-même ne sera pas pénétrée. Là où tout est donné, tout semble repris. Éros est là et bien là mais pas « pour de bon ». Le roi est nu.
Aucune « prise » n’aura lieu si ce n’est celle de la grimace. Elle devient paradoxalement une crucifixion. Le corps se déploie mais en conséquence se déride. L’attirance, la fascination déraillent là où le rire devient une situation d’immolation, de perversion de la perversion. L’artiste crée donc une dialectique particulière: ne pourrait-on pas trouver là une des métaphores de la vie? Celle d’être en vie d’envie et en désir avec son corrélât: l’impossibilité d’y parvenir?