Un entretien Boum! Bang!
Jonny Briggs, né en 1985 au Royaume-Uni, peut, par son univers, rappeler celui de David Lynch. À travers ses travaux, ce photographe part à la recherche de ses origines et tente par ailleurs d’abolir les frontières entre l’enfance et l’âge adulte, entre le soi et autrui ou encore entre la réalité et la fausseté. Malgré son jeune âge, il a déjà été exposé dans de nombreux pays et reçu plusieurs récompenses pour son travail.
B!B!: D’où vous vient cette passion pour la photographie et quel est votre parcours artistique?
Jonny Briggs: Mon aventure dans la photographie a découlé de l’aversion pour le milieu. J’avais pour habitude de détester voir une photo prise de moi étant enfant – où je me tenais d’une façon particulière et souriais à l’appareil. Je les trouvaient idéalement performatives – et dans ce sens, fausse. J’ai donc, à partir de cet instant, utilisé la photographie comme un moyen de jouer de ces mises en scène dans le but de révéler des vérités ambiguës. À certains égards, je vois ma pratique comme un rôle de renversement de la photo de famille – où c’est désormais moi qui suis posté derrière l’objectif et qui contrôle l’image. Pour ce qui est de mon éducation, j’ai étudié mon diplôme de BA au Chelsea College of Art à Londres et ma maîtrise au Royal College of Art. Ma pratique artistique a toujours été pluridisciplinaire et, avant même mon BA, je travaillais sur ma vie de famille. Je savais donc à un âge précoce que c’était la bonne voie pour moi.
B!B!: Quelles sont vos influences et où trouvez-vous votre inspiration?
Jonny Briggs: Chaque fois que je fourrage à travers les archives familiales, je trouve beaucoup d’inspiration pour des idées, quelque chose sur lequel rebondir. Être autour de ma famille et la maison de famille est aussi une riche source d’inspiration pour travailler. La famille a joué un rôle essentiel dans le fait d’être devenu adulte. J’aimerais parfois voir mes parents comme des agents de la société, me socialiser pour leur propre version de la normalité. C’est pour cette raison que je trouve aussi de nouvelles sources d’inspirations, souvent anthropologiques et comiques. Mes parents m’encouragent tous deux pas à pas en dehors de nos habitudes à regarder en arrière et dans la famille, tirant le tapis sous les pieds de nos rituels socialisés et révélant leur absurdité, réunissant ainsi des différences.
B!B!: Le thème de l’enfance est très important pour vous. Parlez-moi de ce leitmotiv dans votre travail.
Jonny Briggs: Il peut être difficile de briser nos habitudes adultes. Beaucoup de difficultés peuvent donc provenir du fait d’être incapable de penser en dehors du milieu dans lequel nous avons été socialisés. Pourtant, si nous cherchons à dénuder nos couches de conditionnement, de penser au-delà des normes de notre société, nous pourrons peut-être nous-mêmes voir à nouveau. Je vois l’état d’esprit de l’enfance comme un excitant, c’est un monde où ce qui est réel se brouille avec ce qui relève de la fantaisie, où tout est possible, où on peut penser en dehors de la boîte, car cela n’existe pas encore. Mon enfance a joué un rôle essentiel dans ce que je suis aujourd’hui et maintenant, en tant qu’adulte, je repense à cette nature de l’enfance, mais inéluctablement à travers les yeux d’un adulte, résultant inévitablement des collisions de l’adulte et de l’enfance et ses fantasmes.
B!B!: Vous semblez avoir une relation très particulière avec vos parents…
Jonny Briggs: Mon travail a permis à mes parents et moi de nous rapprocher. À certains égards, le travail est comme une excuse pour faire ces choses, que je ne pourrais pas faire si j’étais un mathématicien. En dehors des photographies, j’ai eu, depuis l’enfance, une relation difficile avec mon père. Mon travail est comme une compensation face à cela.
B!B!: Vous associez la photographie, la sculpture ou encore la tapisserie pour illustrer vos souvenirs, bons ou mauvais, de votre enfance. Pouvez-vous nous parler de votre démarche artistique et de vos choix esthétiques?
Jonny Briggs: L’idée vient d’abord, et lorsqu’elle évolue, je décide quel moyen logique utiliser afin de l’illustrer. Il y a des choses que je peux faire avec la tapisserie que je ne peux pas faire avec la photographie. Il ya des choses que je peux faire avec la photographie que je ne peux pas faire avec la sculpture. Les tapisseries sont souvent enveloppantes, avec des personnages qui fusionnent avec leur environnement, en partie non récoltés et éphémères, et des couleurs qui font allusion à des cheveux et de la chair.
B!B!: Quel est le but de votre travail?
Jonny Briggs: Le processus utilisé me donne l’occasion de me surprendre, de me poser des questions et de spéculer sur ce que ces intérêts vont révéler sur moi-même. C’est un processus de guérison, qui me fournit l’équilibre émotionnel, l’intérêt et la sécurité – de cette façon, le travail me rappelle ma relation d’enfance avec mon ami invisible, une relation avec mon intuition.
B!B!: Quels sont vos futurs projets?
Jonny Briggs: Je viens de terminer un projet avec le Centre for Contemporary Art and the Natural World, sur le thème de « la culture du sol ». J’ai réalisé une photo d’une longue table d’un délicieux festin – qui rappelle « La Cène » de Léonard de Vinci, avec des bols remplis de fruits, légumes et desserts voluptueux dans un cadre somptueux avec des rideaux et des candélabres, mais fait entièrement à partir d’excréments locaux. J’ai été intéressé par cet entrelacement du désir et du dégoût; d’une main nous pouvons désirer ce qui nous dégoûte, observer un animal mort plus longtemps que nécessaire, ou sentir une odeur nauséabonde plus profondément que nous le devrions. D’autre part, nous pouvons également être dégoûtés de nos propres désirs. Par ailleurs, je commence un nouveau projet au Camden Arts Centre au mois d’août pour une nouvelle série de natures mortes qui n’a pas encore été révélée.
B!B!: Donnez-moi votre vision du monde.
Jonny Briggs: Je m’efforce de penser au-delà des catégories et des limites floues, d’accepter l’ambivalence.
B!B!: Si vous pouviez être un autre artiste, qui aimeriez-vous être?
Jonny Briggs: L’un des premiers je pense, un homme dessinant dans une grotte.
B!B!: Une œuvre d’art?
Jonny Briggs: « Descension » le vortex d’eau d’Anish Kapoor.
B!B!: Un animal?
Jonny Briggs: Un oiseau.
B!B!: Un livre?
Jonny Briggs: « Horton Hears a Who » de Theodor Seuss Geisel.
B!B!: Un film?
Jonny Briggs: « Labyrinthe » de Jim Henson avec David Bowie.
B!B!: Une chanson?
Jonny Briggs : « Wuthering Heights » de Kate Bush.
B!B!: Un souvenir d’enfance?
Jonny Briggs: L’excitation de se lever tôt le matin pour partir en vacances.
B!B!: Un jouet?
Jonny Briggs: Un ours en peluche.
B!B!: Votre devise?
Jonny Briggs: Soyez qui vous êtes et dites ce que vous ressentez.
B!B!: Si vous pouviez inviter dix personnes, décédées ou non, à souper, qui seraient-elles?
Jonny Briggs: Albert Einstein, Kate Bush, Jésus, un homme de Neandertal, Sigmund Freud, Jacques Lacan, mes grands-parents décédés, Stephen Hawking, Henry Darger et Heston Blumenthal.
B!B!: Et si je vous dis « Boum! Bang! »?
Jonny Briggs: Je vous dis « Kapow »!