Jérôme Lagarrigue ramène à une évidence qui passe inaperçue dans l’histoire du portrait: les noirs et les métisses sont sous-représentés. Ce qui pourrait plus ou moins se concevoir dans les siècles passés est devenu une absurdité que Jérôme Lagarrigue entreprend de réparer sans séparer la beauté du corps de la souffrance. Elle se dessine par touches magnétiques et non sans renoncer pour autant à une esthétique de célébration qui sort cependant des sentiers battus. Sans que rien ne soit « téléphoné », l’artiste transforme ses portraits en figurations quasi symboliques et surtout pénétrantes.
© Jérôme Lagarrigue, série Round Zéro: Retaliation, huile sur toile de lin, 200×200 cm, 2013
© Jérôme Lagarrigue, série Round Zéro: Near Martin, huile sur toile de lin, 200×250 cm, 2013
© Jérôme Lagarrigue, série Round Zéro: Near of Martin, huile sur toile de lin, 150×150 cm, 2013
© Jérôme Lagarrigue, série Closer: Occipital, huile sur toile de lin, 250×200 cm, 2011
© Jérôme Lagarrigue, série Closer: Eye #11, huile sur toile, 48×48 cm, 2011
© Jérôme Lagarrigue, série Closer: Eye #12, huile sur toile, 50×50 cm, 2011
© Jérôme Lagarrigue, série Closer: Ear, huile sur toile, 48×48 cm, 2011
© Jérôme Lagarrigue, série Closer: Feat, huile sur toile, 200×200 cm, 2011
© Jérôme Lagarrigue, série Closer: Teeth, huile sur toile, 189×153 cm, 2011
© Jérôme Lagarrigue, série Closer: Torso, huile sur toile, 150×150 cm, 2011
© Jérôme Lagarrigue, série Closer: Jule 1 & 2, huile sur toile, 76×76 cm, 2011
© Jérôme Lagarrigue, série Closer: Jule 4,5,6, huile sur toile, 2011
De l’œuvre émane une douleur implicite. L’artiste ne cherche pas une sublimation mais une vérité au sein de visions troublantes et énigmatiques. Elles font de ses personnages des écorchés vivants et pudiques. Au regardeur d’imaginer le meilleur du pire là où l’artiste incise des lignes, étend des tâches de couleurs par divers effets de plans plus ou moins rapprochés et d’effets de lumière. Dans chaque toile le « je » semble incertain et en reconquête. L’artiste ne joue jamais des effets pour donner au corps noir ou métissé l’habituelle iconographie qui s’attache à lui. La couleur complexe jette le doute dans un regard traqué, incertain des lendemains. L’artiste sait en effet qu’on ne boit jamais le vin de la douleur à coup de voluptés mécaniques: il s’abat sur soi. Saisi dans sa prison d’espace et de temps, le jeu des lignes suggère des ombres qui ne sont pas les seuls résultats des effets de peau. Surgissent femmes et hommes empreints de solitude. Chaque toile devient le lieu d’une interrogation, d’un doute.
La lumière vibre et tremble, griffe un réel où les êtres ne semblent pas connaître l’apaisement. Tout demeure en suspens. Les visages se forment, se déforment, se télescopent. Avant d’oser leur cri, l’abattement des silhouettes domine. Chacune semble attendre une aube. Ou un crépuscule. Jérôme Lagarrique invente des portraits en déséquilibre compensé. Parfois ils glissent. Parfois ils ont des gestes de statues. Chacun attend les insomnies heureuses afin que ses monstres s’assoupissent. Le cœur bouge tel un chien en cage dans son voyage au bout de la nuit.