Jane Lafarge Hamill produit une œuvre au statut particulier. Travaillant principalement sur le portrait elle enchâsse sa propre histoire dans celles de ses modèles en prouvant que toute saisie garde son secret. D’où la déstructuration progressive de ses images et leur « effacement ». Chaque portrait devient un « objet » de hantise et de méditation. Liquidant tout le spectaculaire Jane Lafarge Hamill «durcit » progressivement son approche prouvant que l’illusion de réalité n’est pas la source de l’image. Sachant rebondir sur elle, la créatrice lui octroie une autre présence, un autre contenu, une autre façon de la regarder. Les pans de lumières créent des resserrements pour permettre l’apparition d’une nouvelle théâtralité du réel en une sorte de suspens filtré. S’éprouve une fugace extase: ce qui est absent est répandu par la couleur que rehaussent par touches les lignes qui l’exalte. Tout est là mais comme hors de prise, en dehors de l’image. Le réel qui était son départ n’est plus au terme qu’un point d’arrivée différé. L’inquiétude est donc la faille ordinaire de l’artiste: là où l’évidence pourrait régner tout capote, diverge: le doute est omniscient.
En conséquence l’artiste réduit le corps autant intime que social – à un « objet de perte ». Face à l’idée centrale qui anime notre société et peut donc se résumer ainsi: sans hétérosexualité il n’ y aurait pas de corps féminin; l’artiste rebondit et pose des questions nouvelles: de quel corps s’agit-il? De qui est ce corps? Voilà la double et périlleuse question que pose celle qui lutte contre cette féodalité masculine et revendique le corps lesbien comme fondement d’une identité susceptible de remettre à l’ordre du jour l’ordre patriarcal. Le corps social et le corps intime ont donc partie liée, même si pareils au jeune Igitur de Stéphane Mallarmé les mâles ne cessent de redescendre « le caveau des leurs » afin de rester sûrs que la lesbienne ne vienne pas les déposséder de leur « moi pur réminiscence du sépulcre masculin ».
Avec Jane Lafarge Hamill les mâles font figures de perdants qui n’ont rien de magnifiques. Se repose dès lors la question récurrente et qui dépasse même la seule scission du corps lesbien: l’idée que l’on se fait du monde est-elle la bonne? Et s’il peut exister encore de ces utopies dont on déplore l’absence; n’est-ce pas là qu’il conviendrait de les découvrir? En tant que mâle, devant la femme lesbienne, nous nous sentons ravis car nous ne pouvons en être ravis. Et ce au nom d’une loi d’apparentement, d’origine et de survie. C’est pourquoi le corps lesbien est confisqué par la société au titre de sa survivance, économique et sociale. C’est pourquoi beaucoup d’artistes ou de penseurs convoquent le corps lesbien sous forme de celui d’un gisant. À l’inverse l’artiste américaine ne cesse de le réactiver. D’autant qu’un tel corps peut assurer la survie de l’espèce et jouer son rôle de nature sans être confisqué par celui du mâle. En rompant avec la logique de la différenciation sexuelle ancestrale des rôles, la créatrice peut rejeter la figure stéréotypée et imposée du mâle pour la remplacer par une autre iconologie dans une œuvre où les rôles son redistribués.