Quand il répond à l’une des nombreuses questions techniques qui lui sont immanquablement posées par les spectateurs découvrant son œuvre, James Hopkins prend le temps de détailler le traitement du bois, les rapports d’échelle et l’angle du miroir. Quand il voit un observateur un peu perplexe il explique le pourquoi et le comment, la genèse de l’œuvre, son intérêt technique, théorique et tous les détails permettant de l’apprécier au mieux. Pourtant, quand on voit l’œuvre de James Hopkins pour la première fois, on aurait tendance à vouloir oublier la technique et l’ensemble des livres d’histoire de l’art poussiéreux qui s’accumulent dans nos étagères. D’abord parce que, si tant est qu’il y ait d’autres visiteurs dans la salle où sont exposés les travaux de James Hopkins, les postures que les œuvres les contraignent à prendre (torsion du buste, petit pas de côté, tête penchée) en font les personnages comiques d’une farce à la Tartuffe dont le scénario se déroulerait dans les pompeux couloirs des Beaux Arts. Ensuite, et surtout, parce que les œuvres elles-mêmes happent le spectateur et ne lui laissent pas d’autre choix que de devenir avec joie ce personnage comique qui se meut inélégamment d’un objet à l’autre, questionnant sa perception et, ce faisant, balancé dans un registre émotionnel qui sonne juste, du retour à l’enfance à l’angoisse existentielle.
James Hopkins, Eye Glass, 2006, Wood, brandy bottle, mirros and glass sphere, 150 x 65 x 65 cm, Installation view Max Wigram Gallery, London ©
James Hopkins, Rocking Chair (balanced), 2007, Chaise, 100 x 130 x 60 cm, Installation view Freak Show, Musée d’art contemporain, Lyon ©
James Hopkins, Love Seat, 2007, Chairs, 106 x 180 x 45 cm ©
Britannique, James Hopkins est né en 1976 et diplômé des Beaux Arts du Goldsmiths College de Londres. James Hopkins a fait des études qui font qu’il sait de quoi il parle. Il sait pourquoi il fait ce qu’il fait et pourquoi il le fait comme il le fait. En effet, si les installations que propose l’artiste sont d’une grande variété formelle: objets poussés au paroxysme de leur équilibre, jeu de miroirs et de formes, sculptures extraites de livres ou corps nus issus du vide entre deux branches d’arbres… toutes ses oeuvres ont pour point commun de chercher à repousser les limites de notre perception quotidienne. Dans la lignée d’un Damien Hirst. Fils du XXe siècle, descendant de Duchamp plus que de Richter. Sur un mode esthétique quasi aseptisé. Absurdité d’un rapport purement numéraire à la vie, rêves d’évasion, Nature & Culture, technique et vanité. Autant de concepts bien intégrés que l’artiste met au service d’un détournement du sens. D’ailleurs, technique et vanité: toute la complexité du travail de l’artiste se révèle à cet endroit-là. Quand la technique saura me dire comment un jeu de miroirs placés dans une serre permet une réflexion à l’infini de sa scénographie, la théorie me dira qu’on y parle des dérives scientifiques, du clonage humain et de l’effet de serre et tout ce que l’enfant (ou l’humain) en moi verra sera un échappatoire, la possibilité poétique de fuir la banalité du quotidien.
James Hopkins, Bottle and Skull, Detail, 2012, Wood, stone, mirrored bottle, z-corp, 3D print and paint , Dimensions: 115 x 66 x 66 cm ©
James Hopkins, Bottle and Skull, Detail, 2012, Wood, stone, mirrored bottle, z-corp, 3D print and paint , Dimensions: 115 x 66 x 66 cm ©
James Hopkins, Acid Rain, 2006, Serre et miroirs, 195 x 195 x 255 cm, Installation view Cosmic Gallery, Paris ©
James Hopkins, Acid Rain, 2006 (detail), Greenhouse and mirror, 195 x 195 x 255 cm ©
James Hopkins, Mirage in Mind, 2004, Bucket, mirror, sand, pebbles and model trees, 30 x 30 x 28 cm ©
James Hopkins, In my dream there were three different doors, 2006, Three wooden doors and gloss paint, 195 x 195 x 255 cm, Installation view Cosmic Gallery, Paris ©
C’est qu’il est beaucoup question de l’enfance. Partant des éléments les plus basiques de sa culture: le rocking chair de grand-mère, la bouteille de brandy de grand-père, Mickey Mouse et autres seaux de bacs à sable ou à champagne, James Hopkins se réapproprie les éléments les plus représentatifs de sa culture pour les transformer. Devenus prétextes du jeu de la perception les objets, libérés de leur fonction première, viennent offrir le droit au spectateur de questionner son environnement et, dans le même mouvement, son rapport à un art qui devient ici un interlocuteur à part entière. Le sérieux et le poids des connaissances se voient souvent ponctués d’un sourire quasi-instinctif venu dédramatiser le rapport entre le spectateur et l’oeuvre. Nostalgie et engagement artistique se mêlent en effet chez James Hopkins comme un socle stable et sain à l’expression d’une sensibilité qu’on perçoit dans les interstices de son travail; car là où il nous fait rire ou sourire, c’est aussi là qu’il nous touche le plus. Dans l’impalpable zone intermédiaire entre technique et message se dresse, fort et fier, le pèse-nerfs¹ – moteur incomparable de l’expression artistique.
¹ D’après la formule d’Antonin Artaud, dans son ouvrage, Le pèse-nerfs, paru en 1925:
« Vous êtes bien gratuit, jeune homme !
Non, je pense à des critiques barbus.
Et je vous l’ai dit : pas d’oeuvres, pas de langue, pas de parole, pas d’esprit, rien.
Rien, sinon un beau Pèse-Nerfs.
Une sorte de station incompréhensible et toute droite au milieu de tout dans l’esprit. «