Revenir sur la démarche de Jacques Vieille invite à repenser une définition de la notion de nature. Celle-ci a pris des formes diverses au fil de ses oeuvres réalisées aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Son travail à partir des éléments naturels a glissé vers le faux, vers une perception d’une quatrième  nature, telle que l’avait théorisé John Dixon Hunt.

La forme de la colonne revient de manière récurrente. Elle est liée aux théories de l’histoire de l’architecture et à son analogie avec l’arbre. L’artiste décline cet élément architectural en plusieurs matériaux et selon divers contextes. Il trouve ses matières et les objets qui constituent ses installations en observant le territoire où il est convié à créer. Les éléments les plus communs du quotidien peuvent l’amener à composer des installations où se joue un trouble visuel, un potentiel paysage. Jardiner, réalisée dans le château de Gaillon est issue d’une performance, d’un geste de jardinier avec des objets de récupération. Des bouchons de bouteilles, de loin, créent un champ à contempler. Pour Jacques Vieille, il s’agit de composer, d’assembler et, comme l’architecte, de trouver des modalités pour construire un espace dans lequel circuler. La maîtrise des luzernes, fait référence aussi à un geste agricole et se présente comme un jardin japonais. Les contenants nous incitent à écouter des informations locales. L’installation renvoie à des usages et sollicitent notre imagination.

Jacques Vieille, Mara des Bois, 2000, Toulouse, DRAC Hôtel ST Jean, 2007. Fraisiers mara des bois, tubes TPC, grue, arrosage automatique.
Jacques Vieille, Mara des Bois, 2000, Toulouse, DRAC Hôtel ST Jean, 2007. Fraisiers mara des bois, tubes TPC, grue, arrosage automatique.
Jacques Vieille, Jardiner, Château de Gaillon, bouchons recyclés, 1994.
Jacques Vieille, Jardiner, Château de Gaillon, bouchons recyclés, 1994.
Jacques Vieille, Monstera, Mont de Marsan sculptures, 2010. Impression sur bâche PVC, brumisation.
Jacques Vieille, Monstera, Mont de Marsan sculptures, 2010. Impression sur bâche PVC, brumisation.
Jacques Vieille, Nappe 2011, Abbaye de Bon Repos, Saint Gelven, 2011. Impression sur bâche, casiers à bouteilles.
Jacques Vieille, Nappe 2011, Abbaye de Bon Repos, Saint Gelven, 2011. Impression sur bâche, casiers à bouteilles.

Dans cette filiation entre le vivant et l’artifice, Jacques Vieille crée aussi des œuvres qui suggèrent des cultures, où le végétal peut croître grâce à un système. The girl of land présente une organisation de fraisiers, dont la structure peut faire songer à celle du système racinaire. De l’élément naturel, il a découvert la possibilité de créer un motif de branche, qu’il décline à l’infini, grâce au procédé de la sérigraphie. Ce dessin lui est apparu lors de sa résidence à la Villa Médicis, où il ne trouva pas d’éléments naturels à proximité.

A l’abbaye de Bons-repos, son installation Nappe a comme point de départ une photographie de branchages d’un chêne qu’il a superposé avec un détail d’une gravure du XVIIIe siècle. Cette œuvre condense différents éléments et références historiques. Jacques Vieille s’inspire de l’architecture des lieux pour créer et transformer leur perception par l’utilisation de structures, paravents, et objets, parfois inscrits à même les éléments de décor. Il détourne les particularités des espaces notamment en proposant de nouvelles perspectives. Au Musée de l’abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne en 1987, des piliers l’on incité à disposer une série de colonnes en tubes de coffrage. Ses œuvres convoquent la métrique, les techniques de l’architecte et la compréhension de l’espace pour mieux s’en saisir et le retravailler.

Certaines pièces nécessitent d’ailleurs un visiteur attentif pour être perçues. L’artiste est bâtisseur de nouvelles colonnes en fonction des contextes. A Milan, son installation dans la galerie  Luigi Deambrogi, en 1984, présentait une série de colonnes en bois couchées au sol, maintenues par des pneus, chacune avec une direction différente. Reste une trace de cette œuvre en photographie, développée pour l’exposition actuelle Des statures végétales présentée à Julio Artist Run Space . Une distance temporelle est créée et conduit l’artiste à revenir sur l’histoire de son œuvre. A cette nouvelle image imprimée pour l’occasion, il a aussi conçu une proposition où il met en correspondance des motifs avec un élément naturel, un bois de cactus. Des similitudes de formes sont révélées par ce jeu de superpositions. Jacques Vieille se fait parfois jardinier, invité à créer des œuvres pour l’extérieur. Passegiatta, un tunnel de charmille, réalisé dans le cadre d’un projet Nouveaux commanditaires, en Bourgogne, répond à ses installations dans des lieux ponctués de colonnes.

Chaque œuvre est pour lui une construction, qui joue sur l’accumulation ou l’insertion dans l’architecture. Avec La forêt, il accumule des colonnes, un même module composant une installation qui incite à percevoir l’intérieur tout en restant à distance. L’étagère apparaît aussi de façon récurrente dans sa démarche. Il réinterprète cet objet où se joue une mise à l’épreuve des matériaux, des tests de résistances. Au travers de sculptures, entre la voûte et la colonne, Jacques Vieille démontre une tension et des rapports de force dans l’architecture. Il affirme avoir « une posture non nostalgique » et réinterprète ses œuvres selon les cadres que les lieux lui offrent. Il les réinstalle selon des contextes et l’écart temporel lui permet de les repenser. Récemment, au château de Monbazillac, il a revu des pièces qu’il a greffé dans le mobilier et le décor.

Ses œuvres créent de nouvelles expériences physiques des lieux. Jacques Vieille nous invite à prendre conscience de nouvelles potentialités de lire les concepts de nature et d’architecture. L’élément naturel est mis au même plan que l’objet du quotidien. Tout peut être matière à construction ou à élaboration d’un jardin.

6 colonnes, Tirage lambda monté sur diasec., 100 X 127 cm, édition 1/5, 100 x 130 cm, Milan, 1984
Via Breira 4, cactus wood, papier incertum, mousse polyuréthane, 60 x 60 cm, 2019