Il faut se méfier du double jeu que propose Hope Gangloff: double jeu de l’image et du réel, de la figuration et de son abrasion, du dehors et du dedans en diverses scènes intimes. Le tout conduisant à une quintessence et une condensation particulières. L’artiste prolonge le réalisme de scènes vaguement érotiques, il les confronte à une interprétation faite moins d’élans que de jeu de traces et de mises en scène. N’existe pourtant jamais dans un tel travail de reprise un effet de nostalgie ou de mélancolie. Et ce qu’annonce le dessin est toujours dissipé par l’attrait d’un temps à investir par la plastique et d’un espace à libérer par le départ.
Sans jamais forcer le trait ou tomber dans la caricature l’amour – ou ce qui en tient lieu – devient plus sujet qu’objet de la « prise ». Il surgit de tous les jours là où l’artiste semble venir en visite. L’univers plastique capte le moment mais le fait sortir du temps. Reste l’évidence d’un arrêt dans un cadre lui-même arrêté loin de la psychologie ou du dramatique. Les instants paroxysmiques sont effacés. Reste un rapport (ou son absence) mystérieux, une correspondance inexpliquée avec ce qui est représenté.
© Hope Gangloff, Great Songs of the 70’s, 137×206 cm, acrylique sur toile
© Hope Gangloff, Queen Jane Approximately, acrylique sur toile, 2011
© Hope Gangloff, Sara Vanderbeek in her bath closet, acrylique sur toile, 2010
© Hope Gangloff, E. Starbuck, 152×274 cm, acrylique sur toile, 2010
Demeurent en conséquence des moments de suspension, de hors temps. Le temps est aussi figé qu’en marche. Hope Gangloff y cherche les traces, des indices peut-être de la rencontre impossible, du seuil infranchissable. Le désir, le partage y sont décalés. D’autant que le dessin par son essence même crée un écart, n’épouse pas une stratégie romanesque. Dès lors le spectateur – s’il est lucide – peut se reconnaître dans un tel procédé narratif. Celui-là y est moins embarqué que tenu à distance et éloigné de toute attente traditionnelle. Certes les images se répondent les unes les autres sans être articulées. La fixité, le caractère frontal bloquent le mouvement mais leur sérialité créent néanmoins une forme de mouvement par effet de montage. Le corps est montré dans la transition d’étapes où Hope Gangloff suggère l’innommable de l’amour. Dans ce théâtre d’ombre mentale surgit souvent plus un face à face qu’un véritable échange. Les « acteurs » semblent d’accord mais pour combien de temps encore?
Par effet d’un certain réalisme l’aporie demeure car tout ce qui est montré dans le saisissement suggère une précarité d’assise. La femme suggère à l’amant : « trop longtemps tu m’as laissée seule avec mon désir » mais celui-ci ne tente pas forcément à la « contrarier » ou à se faire pardonner. La chair est là. Toutefois le dessin en retire la chair pour ne garder que le contour, son rameau de silence au sein même de l’absolue nudité.
© Hope Gangloff, Minnewaska Lodge (Blaze Lamper), acrylique sur toile, 2011
© Hope Gangloff, Olympic Hangover Team Captain, 206×137 cm, acrylique sur toile, 2008
© Hope Gangloff, Freelancer (Mikey Hernandez), acrylique sur toile, 2011
© Hope Gangloff, Afternoon Shower, acrylique sur toile, 2012
Celle-ci n’est plus redondante. Elle n’est plus le signe de l’accès de fièvre, de l’émoi particulier dont rien ne sera vraiment dit ou montré. Quelques lignes d’une perverse pureté suggèrent la part d’ombre de l’un et l’offrande de l’autre. Néanmoins la question essentielle : « Qui sommes-nous dans le rapport amoureux? » reste ouverte. Et le voyeur ne peut que tenter de relever quelques indices, quelques effets de plénitudes mais surtout de failles. L’ivresse est sans doute suggérée mais laisse toujours de cendres. Mais pour l’heure – celle que l’artiste capte – peu importe. Les personnages ne veulent pas être seuls ni avec n’importe qui. Ils tiennent par des lambeaux d’images.
Les doubles embarquements pour Cythère qui ne cessent de pousser à l’invitation au voyage se doublent chez Hope Gangloff d’une vision qui n’est pas forcément celle des fêtes galantes. Les amants une fois le plaisir consumé ne semblent rien d’autre que deux mirages. L’artiste souligne par leur pause la confusion des sentiments. Aborder l’éros revient à y échouer « chose » faite. L’embarquement cité pour Cythère est donc la destination illusoire par excellence. Le dieu Éros s’est envolé et la concomitance est déclassée. Tout échappe à la fascination mythique ou mystique de l’amour. Certes Vénus montre encore ses charmes pour réenchanter l’instant. Néanmoins Hope Gangloff montre combien l’érotisme n’est pas ce que l’on fait croire. Et après tout n’est-ce pas une « belle » leçon d’amour? Ne reste de ce dernier et des serments passé ce que Jules Laforgue dans « Des fleurs de bonne volonté » écrivait: « des mains oisives dans les toisons aux gros midis ». De tout ce que les unes et les autres ont ouvert il semble que chacun puisse s’en passer. Provisoirement peut-être. Mais dans les dessins de l’artiste l’absence est plus en évidence que le suspens.