Entre adolescence et âge adulte, les jeunes hommes d’Hernan Bas déambulent dans d’immenses forêts à la recherche des clefs d’on ne sait quelle énigme. Ces silhouettes androgynes et filiformes rappelant celles de certaines icônes de la mode masculine se frayent un chemin au cœur de compositions colorées. Solitaires, la moue triste, le regard perdu dans le vide, leurs pas semblent hésitants. Toute leur délicatesse et leur apparente vulnérabilité s’opposent à des gerbes de peinture explosant violemment sur la toile, créant par endroit une sorte de chaos. La nature se fait sombre et en devient oppressante. Parfois plus rassurantes, les toiles d’Hernan Bas montrent de grands gamins tout simplement assis, sereins, contemplatifs ou en train de se baigner. Ils paraissent alors entourés par une végétation accueillante, un brin magique. Mais qui sont ces promeneurs aux allures innocentes?
Il semblerait qu’Hernan Bas peigne de jeunes anonymes qui appartiennent à toutes les époques à la fois. Ils évoluent dans un univers mental, situé entre réalité et fantasme, figuration et abstraction. Ces garçons errants seraient en pleine exploration de leur identité d’adolescent, dans ce qui pourrait être une sorte d’éveil des sens et de la sexualité mis en image. Ils paraissent marcher dans le territoire de leurs tenaces incertitudes. Parfois leur traversée ressemble plus à une espèce de cache-cache érotique, un cruising, à la recherche d’un partenaire d’un soir. Une atmosphère qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle du film « L’inconnu du Lac » du réalisateur Alain Guiraudie. Ces « inconnus » seraient-ils simplement en train de se faire la cour ou jouent-ils à d‘autres jeux plus dangereux? Au-delà de l’étiquette « gay » que certains journalistes leur ont collée sur la tête, sûrement à cause de l’homosexualité assumée de l’artiste, le monde de l’art a aussi souvent parlé de ces hommes en utilisant le mot « dandy ». Élégants, précieux, arrogants, ils ont, certes, une certaine forme de charme mais ils semblent tout de même déstabilisés, à fleur de peau, pris dans un vague à l’âme.
Dans ses interviews, Hernan Bas, donne aussi quelques pistes pour comprendre qui sont ces personnages. Il explique que ces garçons ne sont pas des représentations de leur auteur même s’il confie qu’il y a certainement un peu de lui en eux. Lui-même a en effet commencé à peindre jeune, à un âge où il devait faire face à ces questions d’identité. Il dit qu’à cette époque, il ne se retrouvait ni dans le cliché du jeune gay flamboyant ni dans celui du « mec » hétéro. Il se sent entre deux, et ne sait pas à qui ou à quoi s’identifier, un peu comme ses personnages qui semblent en perpétuelle recherche.
Mais ne résumons pas le travail d’Hernan Bas à ces hommes solitaires. Fort d’une riche production, l’artiste a en effet dévié de nombreuses fois de sa trajectoire singulière. Il a ainsi ponctué ses œuvres de multiples références et offre à notre regard d’autres scènes, d’autres séries et d’autres secrets. Parfois, les jeunes hommes font route ensemble. Parfois, dans le cadre d’œuvres monumentales comme « The Great Barrier Wreath » (2006), c’est une vingtaine d’entre eux qui sont installés tout autour d’un lac. Certains sont déguisés en arlequin, d’autres rêvassent alors qu’au loin un autre, perché sur un rocher, semble les regarder. Rien de forcément surprenant à condition d’occulter à la fois sa tenue de chef d’orchestre, son pupitre et les flammes menaçantes qui se trouvent derrière lui. Parfois, il met en scène à leurs côtés des animaux dont on ne sait réellement quelles sont les fonctions ou la symbolique (chats, cerfs, dodos, flamands roses, cygnes…). D’autres utilisations d’animaux sont plus explicites comme dans sa série de 2003, « A little Moby Dick in all of us », peuplée de créatures marines, de pêcheurs et faisant certainement écho à l’ouvrage d’Herman Merville. Parfois, il quitte l’univers de la nature pour entrer dans des intérieurs aussi colorés qui pourraient tout autant appartenir au domaine du rêve. Ses héros posent comme dans des portraits traditionnels ou prennent des poses érotiques, comme s’ils s’offraient aux regardeurs. Dans une autre série plus récente (« Memphis Living », 2014), il rend hommage au Memphis Group, mouvement fondé dans les années 80 à Milan par l’architecte et designer Ettore Sottsass et dont le style a fortement influencé l’esthétique du film « Beetlejuice » que Hernan Bas a vu quand il était ado. Plusieurs de ses séries s’inspirent également de la mythologie et de la vie des saints, avec une touche d’érotisme.
Des choix de sujets et des clins d’œil appuyés qui font penser que l’artiste se nourrit d’inspirations très différentes, à la fois classiques et contemporaines, terre-à-terre et surnaturelles. En effet, Hernan Bas se dit fortement influencé par la culture littéraire de la fin du XIXème siècle et évoque Oscar Wilde et Arthur Rimbaud. Comme un auteur, il dit en effet construire ses œuvres en série, à la manière des chapitres d’un livre. Comme un auteur également, Hernan Bas évoque une sorte de syndrome de la page blanche. À chaque nouvelle œuvre, il ressent le besoin de casser la surface de la toile. Il commence donc par appliquer ses couleurs de façon abstraite tout en ignorant ce vers quoi il va. Il se laisse porter, attendant qu’une certaine magie opère. Puis, c’est dans ce premier jet qu’il entraperçoit les prémices d’une branche ou d’une montagne et c’est à partir de ce moment qu’il commence à donner à sa toile son aspect figuratif.
Depuis son plus jeune âge, Hernan Bas est également passionné par les livres traitant de sujets occultes, de phénomènes paranormaux et des créatures peuplant les légendes (sorcières, loup-garous, fantômes…). Collectionneur, il a amassé tout un tas d’objets étranges (oiseaux empaillés, photographies d’esprits, illustrations anciennes…) servant à la fois de véritable catalogue d’inspiration et de prolongement de son travail. Il les présente d’ailleurs parfois dans certaines de ses expositions. Il dit également être très influencé par la culture pop: classiques du film d’horreur, comics, shows télévisés ainsi que les romans pour enfants de la série « The Hardy Boys » de Edward Stratemeyer datant des années 1920.
Il apprécie également le travail d’artistes comme le symboliste Odilon Redon, le romantique Caspar David Friedrich, les portraits vintage d’hommes élégants du duo McDermott & McGough, la peinture mêlant expressionnisme et classicisme de Cecily Brown ou encore le travail de l’artiste conceptuel Bas Jan Ader. Hernan Bas se rapproche aussi d’une génération de peintres flirtant avec le style classique et ayant travaillé sur le thème de l’adolescence comme Norbert Bisky, Karen Kilimnik ou Elisabeth Peyton.
Né en 1978 en Floride, de parents d’origine cubaine, Hernan Bas est diplômé de la New World School of the Arts de Miami. Il vit et travaille à Détroit. Désirant pratiquer la peinture depuis son plus jeune âge, il s’est fait connaître essentiellement grâce à ce medium mais déploie également son univers sur des sculptures, des photographies et des vidéos. Il est actuellement représenté en Grande-Bretagne par la Galerie Victoria Miro, aux États-Unis par la Galerie Lehmann Maupin et en France par la Galerie Perrotin. En 2012, cette dernière proposait à ses visiteurs « Thirty-six Unknown Poets (or, decorative objects for the homosexual home) », une exposition où Hernan Bas rendait hommage aux poètes romantiques avec de petits portraits de poètes imaginaires rehaussés de feuille d’or 24 carats. Étaient également présentés plusieurs paravents peints s’inspirant des arts décoratifs asiatiques et des peintres du mouvement Nabi comme Pierre Bonnard ou Édouard Vuillard. La galerie présentera une nouvelle série de travaux de l’artiste lors de l’exposition « Fruits and Flowers » du 22 octobre au 19 décembre 2015.