Un entretien Boum! Bang!
Hélène Poignon nous présente un travail original, aux palettes explosives. Les corps qu’elle nous propose sont ambigus, à la fois beaux et violents, séduisants et répulsifs. La violence des corps montrés dans leur entièreté n’est pas dérangeante, le traitement de la chair très réaliste devient beaucoup plus qu’une simple performance technique et provoque en nous un impact immédiat. Le mystère a fonctionné et Hélène Poignon a accepté de lever le voile en répondant a quelques questions pour un entretien Boum! Bang!
B!B!: Quel est ton parcours artistique?
Hélène: Depuis toute jeune, je savais que je voulais être artiste et quand âgée de 6 ou 7 ans j’ai vu une toile d’Amedeo Modigliani, j’ai été profondément troublée. Partant de là, j’ai passé mon baccalauréat puis après une année préparatoire aux concours des grandes écoles, je suis entrée aux Arts Déco de Strasbourg où j’ai beaucoup expérimenté, notamment en gravure. Après cela, j’ai intégré pendant quelques années un collectif d’artistes qui s’appelle Mix’art Myrys. À l’heure actuelle, je travaille dans mon atelier.
B!B!: Ton travail semble principalement un travail de portraitiste. Quel est ton rapport au corps humain?
Hélène: Le corps m’a toujours intrigué et reste pour moi un mystère. Il est source de plaisirs et de tourments, beau et violent. J’ai pratiqué la danse et la musique pendant une dizaine d’années et le corps m’est toujours apparu comme un outil, un vecteur portant l’expression de l’âme. Le corps a ceci d’extraordinaire qu’il est une machine faite de viande, il abrite notre animalité. Je suis surtout fascinée par les liens intimes et réciproques entre le corps et l’esprit. Pour l’instant je n’ai pas l’impression de peindre uniquement des corps, je tente plutôt de rendre compte de personnes. Je deviendrais peut-être plus agressive avec le temps mais pour l’instant, j’ai toujours beaucoup de respect pour chacun de mes modèles. J’entretiens une relation très étroite avec eux, ils sont mes amis. Je cherche à les peindre dans leur entièreté pour comprendre qui nous sommes et de quoi nous sommes fait. Cela passe par le corps, les postures, l’attitude et bien sûr la chair.
B!B!: Ta palette très pop apporte beaucoup de légèreté à des corps au traité très charnel, parfois même violent. Pourquoi?
Hélène: J’ai été très marquée par un poème de Baudelaire intitulé « Une charogne ». Les images qui me sont apparues étaient très colorées, saturées, dans un mélange subtil d’horreur et de douceur. Je les retrouve souvent dans mes rêves où la violence se trouve surtout dans l’exhibition de l’intimité. Il y a une forme de romantisme qui me plait, sans être dramatique. J’aimerai parler du corps, de sa souffrance et de la nostalgie qu’il abrite sans sombrer dans le pathos.La violence me correspond davantage, elle me fait moins peur, elle est en moi et la couleur me permet d’en rendre compte. Les couleurs que j’utilise sont celles que je vois, et si cela traduit une forme d’excès dans ma personnalité, ainsi soit-il. C’est une façon de transmettre l’intensité de ce que je ressens tout en contrastant la solitude des êtres que je peins, car cette solitude n’est pas forcément triste, ni même morose. Je me sers des couleurs pour nuancer et confronter tous les sentiments qui font notre complexité. Et puis c’est vrai que travailler ma palette est un de mes grands plaisirs dans la peinture. C’est la partie que je préfère! C’est vivant, plein de rebondissements, et de surprises. Elle permet de sculpter et de rythmer autant mon travail que ma façon de travailler.
B!B!: Pour autant tes estampes sont davantage abstraites, elles se devinent plus qu’elles ne s’imposent, contrairement à tes peintures. Ce travail s’inscrit-il quand même dans une démarche commune?
Hélène: Oui, la démarche est commune bien qu’il ne s’agisse plus de personnes précises, ce sont des anonymes. J’utilise mon propre corps, mais ce ne sont pas des autoportraits car j’essaie de traiter le corps en tant que tel, et non en tant qu’objet a posteriori. Il se devine, mais je le trouve plus évident, plus crus que dans ma peinture. C’est un travail d’empreinte dans de la suie récoltée au chalumeau et à la bougie. De cette manière, le corps entre en contact avec le métal de façon très précise et chorégraphique. Il fait ce qu’il peut face au support et j’aime beaucoup le contraindre. J’évoque encore sa matérialité à travers ces contraintes et par le rendu esthétique qui n’épargne rien, aucune ride, aucun pli, aucun poil, laissant apparaître l’épiderme et le squelette. Les thématiques varient un peu puisque contrairement à mes peintures, j’évoque ce qui est impalpable mais qui nous anime tous. J’aborde les questions de la mort, de l’absence, du souvenir et du fantasme. Finalement, en y pensant bien, ce sont des thématiques qui sont présentes dans mes peintures, mais à l’inverse! La vie, la présence des corps et l’instant présent deviennent dans mes estampes, l’absence, le temps hors du temps et donc la mort.
B!B!: Dans quel courant pictural te sens-tu appartenir?
Hélène: Je ne saurais pas en choisir un précisément. Je me sens antant inspirée par l’expressionnisme que par l’arte povera ou les jeunes artistes britanniques. On me parle parfois d’hyperréalisme, mais ce n’est pas du tout comme ça que j’envisage mon travail.
B!B!: Comment vois-tu ton travail évoluer?
Hélène: En général je me laisse guider par mes expérimentations, mes découvertes et mes rencontres et mon travail est une conséquence directe de ce que je vis. Naturellement, je ne sais pas où j’en serai dans quelques années (et je ne veux pas le savoir), et donc, je ne peux pas deviner la route que prendra mon travail. Pourtant, j’ai l’impression de m’orienter vers quelque chose de plus en plus viscéral, mais il y aura peut-être aussi plus d’humour et d’ironie. J’aimerais partir au Mexique, je pense que ce serait intéressant pour faire évoluer ma peinture. Les influences picturales mais aussi le pays en lui même pourrait être source de grandes inspirations.
B!B!: Quels sont tes projets à court ou long terme?
Hélène: J’ai réalisé des travaux de commandes ces derniers temps. Je vais donc commencer par peindre les portraits qui m’attendent depuis un moment. J’ai dans l’idée de continuer la série « Be gentle with us » en grand format. C ‘est un vrai plaisir de travailler sur papier en mélangeant plusieurs techniques. J’ai également d’autres projets autour de la peau, mais je ne préfère pas trop en parler tant qu’ils ne sont pas entamés. Je me laisse toujours séduire par les aléas de création, j’adore improviser, me tromper et m’égarer pour faire évoluer l’idée de départ. Partant de là, difficile de deviner ce que sera un projet qui n’en est qu’à un stade intellectuel.
B!B!: Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions inspirées du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées.
Quel est la qualité artistique que tu préfères?
Hélène: La spontanéité et l’acharnement. J’admire les deux.
B!B!: L’artiste que tu voudrais être?
Hélène: Jenny Saville. Elle m’a bouleversée. J’ai pleuré. J’ai arrêté de peindre pendant un bon moment, j’ai pris une énorme claque.
B!B!: Quel est ton défaut préféré?
Hélène: On dit aux enfants que la curiosité est un vilain défaut. Je la trouve indispensable.
B!B!: Quel est ton rêve de bonheur?
Hélène: La liberté. Une société complètement différente. Un système différent. Vivre d’amour et d’eau fraîche. Visiter le monde, tout le temps, partout. Et peindre, évidemment.
B!B!: Quel est ton matériel artistique préféré?
Hélène: La peinture à l’huile. Elle est tellement agréable et sensuelle. Et elle offre beaucoup de possibilités techniques.
B!B!: Tes héroïnes dans la vie réelle?
Hélène: Pina Bausch, Janis Joplin, Frida Kahlo, Nina Simone et Patti Smith.
B!B!: Ta devise?
Hélène: Toujours faire en sorte de ne pas avoir de regrets.
B!B!: Si je te dis Boum! Bang!?
Hélène: « Viens petite fille dans mon comic strip
viens faire des bull’s, viens faire de WIP!
Des CLIP! CRAP! des BANG! des VLOP! et des ZIP!
SHEBAM! POW! BLOP! WIZ! »