Un entretien Boum! Bang!
Le quartier Saint-Germain-des-Prés a vu fleurir en mars dernier une nouvelle petite galerie: celle de Nicolas Hugo. À 23 ans, seul, il a aménagé son appartement en espace d’exposition. Ce qui anime avant tout ce mordu d’art contemporain, c’est de dénicher de nouveaux artistes. Il apprend à les connaître et les observe pour mieux les comprendre. Entre le travail qu’il exerce à côté (assistant galeriste) et ses nombreux rendez-vous, il prend tout le temps de raconter l’histoire des œuvres, en réservant aux visiteurs curieux un accueil des plus agréables. La première exposition, « I ran with Iran » nous faisait découvrir les artistes Afsoon, Icy And Sot, Laven Chegeni et Jalal Sepehr. De quoi apprécier de jeunes créations iraniennes dans des genres bien différents.
Pour cette rentrée 2013, la galerie repart de plus belle avec l’exposition « Freaks! », une sélection de travaux envoûtants. Le vernissage a eu lieu le 19 décembre 2012. Impossible alors d’accueillir toutes les personnes attendues dans les 30 mètres carrés de l’appartement. La galerie avait déjà bien fait parler d’elle. C’est donc dans la laverie du coin que Nicolas Hugo a décidé de réunir œuvres, artistes, collectionneurs, amateurs et amis pour une soirée chaleureuse. Nous l’avons retrouvé le lendemain pour un petit bilan de ses premiers pas dans la vie de galeriste.
B!B!: Comment la galerie Nicolas Hugo a-t-elle vu le jour?
Nicolas Hugo: Depuis deux ans, je faisais des stages dans des galeries et j’ai toujours voulu avoir mon projet. Je n’avais pas forcément beaucoup de moyens. J’avais mis de l’argent de côté mais je ne voulais surtout pas dépendre de qui que ce soit. Lorsque j’ai emménagé dans l’appart’ actuel, j’ai trouvé qu’il était vraiment bien. Je suis dans un quartier central avec de nombreuses galeries. Je me suis dit que j’allais miser sur le fait que je n’ai que 23 ans et rien à perdre. J’ai fait des stages à Paris en commençant par la Gagosian Gallery où c’était vraiment à tâtons. J’ai pu observer beaucoup de choses, mais c’est surtout mon stage à Bruxelles qui m’a mis dans le bain. J’ai bossé pendant la foire annuelle Art Brussels avec Sorry We Are Closed, et nous étions trois dans la galerie. J’étais avec Sébastien Janssen, que je considère un peu comme mon mentor. Cette rencontre a été un vrai déclic. Il m’a tellement donné envie, il m’a donné goût, c’est quelqu’un qui m’a fait confiance dès le début. La veille, je peignais les murs du stand, le lendemain je vendais des œuvres; c’était parti. Et moi j’adore vendre. Je ne pense pas que ce soit un vice dans le métier.
B!B!: Comment t’es venue l’idée d’une exposition sur l’Iran?
Nicolas Hugo: J’adore ce pays et ses artistes contemporains. J’ai pensé que ce serait bien qu’une petite galerie montre le côté pop et très moderne de l’Iran. Généralement, on ne connait de l’art iranien que ses dessins traditionnels. À part dans des catalogues de ventes à Abu Dhabi, on voit très peu d’art contemporain de ce pays. L’idée m’est aussi venue avec l’artiste Afsoon que je connaissais bien. Elle fait des collages et je l’avais rencontrée auparavent à Bâle. Elle est déjà confirmée, elle a une galerie à Londres, une à New York. Quand je lui ai proposé cette idée, elle a été d’emblée d’accord, et ça m’a appuyé. Ensuite j’ai contacté les autres artistes. J’ai lu un article dans Libération Next, où j’ai découvert Icy And Sot, des artistes street art. On est rentrés en contact par mail mais c’était galère, tout le chemin ensemble s’est fait alors qu’ils étaient à Téhéran, sans que l’on se voit. Maintenant ils ont un agent et sont à Brooklyn.
B!B!: Par rapport aux galeries parisiennes, que tu as eu l’occasion de connaître, quelle identité voudrais-tu donner à la tienne?
Nicolas Hugo: Lorsque j’étais à Bruxelles, je me suis rendu compte que tout le monde était mis dans le même sac, que ce soit les artistes, les gros collectionneurs, les monteurs. À Paris il n’y a pas ça. Peut-être que je dis ça parce que j’ai 23 piges, mais je déteste le fait par exemple qu’il y ait le preview, le diner, etc. Quand j’étais en Belgique, je me suis retrouvé à la soirée de la collection de Frédéric Goldschmidt Rothschild, c’était incroyable. Il était là, et il avait simplement mis une baraque à frites avec de la bière, les oeuvres et il buvait avec nous. Et ma galerie, je veux que ce soit quelque chose comme ça. L’autre soir j’ai fait le vernissage dans la laverie et il y avait des galeristes qui étaient là, avec des étudiants… et au final les gens aiment bien ça. Se retrouver dans le même truc, tous en même temps. Il faut juste les mettre à l’aise, ne pas créer de cloisons. Je ne crois pas qu’il y ait de cloisons. Il y avait des gens qui lavaient leur linge, du coup je leur ai expliqué des tableaux. Tout le monde a le droit d’être là et je ne vois pas pourquoi il y aurait des gens plus VIP. Je ne veux pas. Et cela marche aussi dans le choix de mes artistes. Hier soir il y avait des artistes plus confirmés, mais il y avait aussi des artistes pour lesquels c’était la première exposition. J’aime les artistes confirmés, mais moi ce que je veux c’est promouvoir un artiste, m’engager à ses côtés, et me battre pour lui. Hier j’ai vendu une œuvre de quelqu’un qui n’avait jamais été exposé, et pour moi c’est encore plus gratifiant. Ce n’est pas de l’altruisme mais ce que je veux c’est d’abord que les artistes soient contents.
B!B!: Comment as-tu vécu le contact avec tes premiers visiteurs?
Nicolas Hugo: Ca a attiré beaucoup de gens, j’ai eu des visiteurs très éclectiques. Des jeunes, des vieux… Et du coup beaucoup d’iraniens sont venus. J’ai découvert qu’il y avait une très grande communauté iranienne à Paris. Il y a même de la famille du Shah qui est venue voir l’expo. Je t’avoue que c’était un peu bizarre parce que par exemple le jour du vernissage, les 15 premières personnes qui sont arrivées étaient des personnes que je ne connaissais pas du tout. Quand je les ai reçues, j’ai mis un petit temps d’arrêt et après c’est parti. Forcément je n’avais pas le choix, mais sinon oui c’était un peu spécial. Tu vois des gens arriver chez toi, regarder tes murs. Ce n’était pas tant l’accrochage et les préparatifs parce que j’étais là-dessus depuis neuf mois. C’est quand tu vois des gens qui rentrent chez toi, et qui te posent des questions. Je n’étais pas angoissé, mais j’avais le trac ouais.
B!B!: Parle-nous maintenant de ta nouvelle exposition « Freaks! »
Nicolas Hugo: Le choix du thème est parti du film de Tod Browning, « Freaks », que j’adore, et d’un artiste qui s’appelle Jqnus (prononcé Janus). Je l’ai rencontré il y a un an parce que c’est également mon graphiste. Quand il m’a appris qu’il peignait, je suis allé voir son travail, et c’est exactement ce que j’aime. Moi mes artistes c’est Lucian Freud, Bacon… Il m’a montré une série de visages, ça ressemblait à des monstres. Ca rejoignait le truc et c’est resté dans ma tête. Lorsque j’ai revu le film, en septembre, le lien s’est produit: le thème, ce sera Freaks. Je me suis dit que les gens allaient adorer. Les monstres, c’est fascinant! C’est l’un des thèmes principaux de l’art, mais en même temps je ne voulais montrer que des jeunes artistes. À partir de ça j’ai commencé à démarcher.
B!B!: Comment as-tu trouvé les artistes?
Nicolas Hugo: J’ai trouvé pas mal d’artistes sur internet pour cette expo, notamment Emilie Abou, qui a fait le dessin au stylo Bic. Je l’avais repérée parce qu’elle avait liké quelque chose sur le news feed sur Facebook. C’est fou quand même. J’ai vu ses dessins, donc je lui ai écrit. Umberto Toselli a fait le visage bleu avec la langouste sur la tête. J’ai été le premier mec à lui acheter une œuvre. On était au collège ensemble, en chimie, en 6ème ou 5ème et je l’ai revu il y a 3 ans. Il m’a dit qu’il peignait. On était à Pigalle, et il m’a fait monter chez lui pour me montrer ses pièces. J’ai vu un tableau, ça m’a fait penser à un film de Murnau, hyper malsain. Ca s’appelle « Le Voyeur ». Je lui ai demandé à combien étaient ses tableaux, mais il n’avait jamais vendu. Puis j’ai dit « moi j’aimerais bien celui-là ». Il était d’accord. Depuis, une relation de confiance s’est installée et je lui ai acheté d’autres pièces par la suite. Et lui je l’adore, il est barré. J’aime beaucoup passer du temps avec les artistes. C’est un peu ma passion. Par exemple Alexis Dubois, il m’a contacté suite à un article que j’ai eu dans le magazine Glamour. D’habitude les gens qui me contactent, je regarde, mais vite fait. Là, j’ai été emballé par son travail. J’ai toujours aimé les encres. Et c’est ce que je fais généralement avec les artistes, à part Emilie Abou, que je n’ai pas trop eu l’occasion de voir malheureusement. Mais tous les artistes dans l’ensemble, j’essaie de nouer une relation privilégiée avec eux. Moi, ce qui m’intéresse, c’est que plus je suis avec eux, plus je les comprends. Ne serait-ce qu’à boire des coups ou à faire n’importe quoi, à sortir. J’adore observer les gens. C’est comme ça que j’ai appris beaucoup de mon travail. Je ne pose pas de questions, j’observe. Avec les artistes c’est pareil. Je rentre en contact avec eux, je les écoute parler. Du coup après il y a des liens qui se tissent. Par exemple Alexis Dubois, c’est devenu un super ami. Je sais que ça va rester longtemps, il y a une relation qui s’est liée. Avec Umberto Toselli c’est pareil. Après il y en a d’autres avec qui t’as moins d’affinités, on ne peut pas toujours trop se voir, c’est normal. Mais j’aime bien me mettre au même niveau que tout le monde. Un artiste sans galeriste, il peut y arriver, mais le galeriste sans artiste, il n’est rien.
Galerie Nicolas Hugo
[email protected]
+ 33 6 33 24 29 19
Exposition « Freaks » jusqu’au 11 février 2013
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