Basée à Londres l’artiste suédoise Eva Stenram acquiert progressivement une envergure internationale. On la retrouve au Victoria & Albert Museum (Royaume-Uni), au Seoul Museum of Art (Corée du Sud), au Bhau Daji Lad Mumbai City Museum (Inde), à Arles ou encore en Californie. L’artiste ne cesse de détourner de vieilles photos de pin-up des magazines de charme des années 50 et 60 dans lesquels les femmes posent dans des décors d’intérieurs « middle-class » ou devant rideaux et tentures.
Des femmes il ne reste que des parties: parfois elles sont cachées aux trois quarts, parfois la Suédoise n’en garde qu’une jambe gainée d’un bas et d’un talon-haut. Le décor passe au premier plan selon une série de retouches astucieuses. Ce qui se dévoile suggère l’interdit. Cependant, dans un jeu d’écart et de coupure, l’« obscène » est morcelé comme par effet de prothèses. Elles deviennent les antithèses du discours classique d’éros. Demeure une frontière: ce qui se cache derrière n’est pas donné de connaître. La scénarisation dessine la perspective insondable des failles productrices de manques et de frustrations ironiquement programmées. Bref, la chair saisie, dévale de son absence.
L’artiste s’empare de la légèreté « classique » de la jambe pour créer un espace où joue le manque. Le tout dans une virtuosité qui cependant cultive la profondeur plutôt que la verve. Surgissent le vertige et pourtant la lucidité, l’acuité par delà la sensation même que chaque œuvre présente. Elle offre un cérémonial délétère de re-montrance. Regardant avec attention de tels travaux, le spectateur est projeté dans le trouble puisque Eva Stenram indique le seuil d’un lieu où « l’objet » et le regard se perdent. La femme – du moins ce qu’il en reste – devient, la proche et la lointaine, la vulnérable et l’inaccessible. Sa présence perdure sans pour autant effacer les pensées de néant.
Eva Stenram, exposition « Offcut », The Ravestijn Gallery, Amsterdam, du 10 septembre au 22 octobre 2016.