Dans les œuvres colorées et vibrantes d’Emilie Picard tout un univers « amoureux » se développe insidieusement. Non pas que l’artiste en fasse une thématique mais l’essence de sa recherche se ramène à lui. Pas n’importe lequel: celui des images qui avec la créatrice ramène à la sérénité ou l’angoisse au sein d’étranges noces figurales. Divers univers s’y concentrent entre figurations étranges, natures mortes, paysages bigarrés. Néanmoins, lorsqu’elle est là, l’angoisse – à l’inverse de ce qui se produit dans les rêves – n’empêche pas d’avancer. Elle se transforme en chimère capable de recréer le monde et lui faire du bien.
Emilie Picard réinvente le réel ou ses fantasmagories afin que surgissent d’étranges miroirs, des psychés paradoxales. Les œuvres rassemblent les éléments hétérogènes en différents jeux de couleurs, de lumières et d’ombres. Monter, construire de telles images revient pour l’artiste marseillaise à entrouvrir l’eau du monde et voir ce qui est enfermé dans ses profondeurs. Mais existe tout autant une mouvance aérienne car l’air est palpable, l’errance devient lumière.
Emilie Picard témoigne de ce qui fut ou est comme de ce qui n’est pas dans une pluralité de références et d’émotions. Les couleurs le plus souvent chamarrées (mais il existe des exceptions) naviguent, s’étendent. Le mystère, l’étrangeté naissent de la simplicité des choses vues, prises, comprises. L’artiste avance messagère de ses têtes parfois erratiques et tragiquement drôles, parmi ses jardins fleuris toujours inattendus mais curieusement « justes ». Ce travail n’a jamais rien de narcissique. Une aurore est en marche entre esprit et matière, vue et toucher, pensée et affecte, spiritualité et érotisme. Tout se confond dans un mouvement pulsionnel aussi irrésistible et drôle que contrôlé.
C’est pourquoi la peinture est aussi profonde que légère, chargée qu’aérienne. Le geste anime les lignes. Plus même: il les tord pour consumer le vernis des apparences. Ce qui en sort possède parfois la puissance de la matière et parfois la diaphanéité de ce qui en échappe.
Refusant la nostalgie nocturne l’artiste se fait sudiste chevillée à la passion de la vie. Même lorsque les visages semblent très pâles demeurent en eux l’ultime lueur de vie. Plus largement le regard retient avant tout la voracité des couleurs. Elles habitent l’épaisseur des paysages, elles créent la lumière: si bien qu’un poisson devient l’île du visible. Il n’a plus besoin de frémir: il est secoué de clarté et impose une évidence heureuse en participant à une splendeur du quotidien. À travers l’âme de la toile – comparable soudain à celle d’un violon – se transmet la pulsion du corps et ses émotions.
La plasticienne est entièrement dans sa peinture. Elle y imprime jusqu’à ses contradictions. Partant de la couleur elle fait naître ses visions du corps et du « paysage ». Elle en tente peut-être l’unité en transcendant l’inquiétude qu’elle efface le plus possible de ses oeuvres. Une émotion indicible surgit par tout le « désordre » dont l’artiste anime ses constructions. Elles semblent évidentes, spontanées. comme si Emilie Picard était débordée par sa création. Celle-là ne fait rien pour la contrarier. Aucun « ordre » n’encadre la pulsion première. L’artiste lui donne des ailes sans sombrer dans les excès, l’extinction dépressive ou l’exaltation perverse. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Il y a dans cette immédiateté tout un processus antérieur. Car une telle promiscuité avec la pulsion ne va pas de soi.
Chaque toile reste une rencontre qui éveille parfois l’angoisse mais plus souvent la joie dans une ivresse d’espoir. Emilie Picard plus qu’une autre artiste, et « en dépit » de sa jeunesse, est dans sa peinture. Elle s’y lâche parce qu’elle possède suffisamment de technique pour ne pas offrir au regardeur qu’un pur chaos. Elle peut laisser aller son geste « à l’abandon » pour tenter d’atteindre l’extatique, l’exorbitant mais en ne cherchant jamais l’esbroufe. La peinture est animée de courants dans l’espoir peut-être de toucher un langage « innocent ».
Refusant le désarroi ou le dégoût Emilie Picard par sa peinture veut croire à l’être comme au monde. Au besoin elle brade la ressemblance pour se rapprocher de l’au-delà de l’apparence par des traits charnus, des galbes sensuels et une évidente solarité. La multitude de rouge et de vert surprend, le noir dévoile la blanc avec des tonalités argents. Une telle recherche prouve un engagement évident. Il implique une discipline intérieure, une part – raisonnable – de doute et de modestie pour faire remonter le monde de l’être comme l’aître du réel. Sous les reflets multiples de la carnation l’artiste leur accorde une présence accrue.