Joris-Karl Huysmans le qualifiait de misogyne. D’autres le disaient cruel et irascible. Une réputation qu’on a taillée à Edgar Degas, sans trop savoir qui il était. Peintre, graveur, sculpteur et dessinateur, cet artiste complet est de toutes les matières. Matières dans lesquelles Degas donne vie à ses danseuses, ses portraits ou ses scènes de champs de courses. Ces œuvres, le public les connaît. Elles ont fait la gloire de l’artiste. Mais ce public pouvait-il se douter que, retranché dans son atelier, coupé du monde, Degas peint et dessine inlassablement des corps féminins, ses nus? Ils sont là, par centaines, dans ce même atelier où l’artiste, pendant des années, étudie et scrute ces corps féminins. Une recherche qui commence dès les œuvres de jeunesse. Sur les préceptes d’Ingres, maître incontesté du néoclassicisme que Degas vénère, il étudie chacun de ses personnages dans leur singularité, d’après un modèle nu. Puis, il les « habille » dans la composition définitive.
Femme nue couchée sur le ventre, la tête entre les bras, étude pour Scène de guerre au Moyen-Age, 1863-1865. Pierre noire sur vélin, Paris, Edgar Degas ©
Petites Filles spartiates provoquant des garçons (Jeunes Spartiates s’exerçant à la lutte), v. 1860, Huile sur toile, Edgar Degas ©
Une femme dans une baignoire s’épongeant la jambe, v. 1883. Pastel sur monotype, Edgar Degas ©
Après le bain (Femme s’essuyant), v. 1896. Huile sur toile, Edgar Degas ©
Pour Ingres le nu est un thème plastique qui ne s’inscrit dans aucune forme de narration. Pour Degas il s’agit d’une toute autre histoire, celle de corps qui vivent, se meuvent sans artifice. Des femmes absorbées dans leur toilette, leur quotidien et qui ne se soucient aucunement du spectateur. Celui là même qui se fait voyeur quand son regard tombe directement, en vue plongeante, sur le corps de la femme assise ou se penchant pour ramasser une éponge dans son tube. La réalité nue et crue d’un quotidien, livrée aux yeux du public, sans qu’aucune idéalisation de l’environnement, des gestes ou encore des types physiques ne s’immisce dans cette quête du réel. Les Goncourt, redoutables anatomistes de l’âme humaine et chantres du naturalisme n’en sont qu’à leurs balbutiements. Degas dérange. Et pour cause, des critiques comme Gustave Geffroy lui reprochent de traiter ce corps de femme « comme s’il s’était agi d’un traité d’histoire naturelle. » Certes on ne lit aucune émotion, aucune expression sur ces visages floutés voire inexistants. Peut être est-ce là l’élément le plus « deshumanisant.» Cependant ce n’est qu’à ce prix que Degas fait une nouvelle lecture du nu, qu’il le réinvente dans sa vérité la plus juste et déconcertante.
Deux femmes au bain, v. 1895. Pastel, Edgar Degas ©
Le Tub, 1886. Pastel sur papier, Edgar Degas ©
Femme nue couchée, 1886-1888. Pastel, Edgar Degas ©
Femme au bain, v. 1895. Pastel, Edgar Degas ©
L’exposition « Degas et le nu » se tient au Musée d’Orsay jusqu’au 1 juillet 2012.
62 rue de Lille
75007 Paris
Tél. : 01 40 49 48 14