À première vue, en zieutant d’un œil paresseux et distrait sur le travail de Denis Dubois, l’inattentif profane pourrait croire être confronté aux productions ancestrales et démodées d’un estampeur du milieu du XIXe siècle, séries de reliques visuelles d’un autre temps qui auraient traversé les siècles pour se retrouver égarées dans les limbes d’un cabinet de curiosités poussiéreux.
Les supports sur lesquels reposent les travaux de l’artiste, en effet, évoquent les lithographies jaunies et fragiles de Charles Philipon ou d’Honoré Daumier, influents caricaturistes en série du « long dix-neuvième siècle », géniteurs géniaux de l’art satirique moderne comme on le conçoit aujourd’hui.
Détaché du regard brumeux des premières impressions, l’œuvre de l’artiste, originaire de la Manche et de la commune portuaire de Granville, se rapproche en réalité davantage de l’avant-gardisme artistique du siècle dernier, et n’est pas s’en rappeler les collages dadaïstes et surréalistes d’un Max Ernst ou, plus encore ceux de Jacques Prévert, décousus et viscéralement provocateurs.
© Denis Dubois, Requin marteau
© Denis Dubois, Piano
© Denis Dubois, Oreille
© Denis Dubois, Nez
© Denis Dubois, Liens
© Denis Dubois, Gramo chien
© Denis Dubois, Girafe
Photographe et graphiste, le méconnu Denis Dubois s’autoproclame d’abord officiellement « manufacteur d’images » en se faisant le réalisateur boulimique d’une œuvre pléthorique et bizarroïde, lui qui déconstruit et refonde un univers novice et qui entremêle et assemble les éléments d’une réalité obsolète dans un ordre nouveau. Ici, pas de place pour la vraisemblance officielle, là où les visions et les impressions sont aseptisées et codifiées, réflexes sociétaux et culturels inconsciemment encrés dans les esprits. Ce qui compte désormais, c’est la perception que l’artiste se fait de cette vraisemblance et le nouvel univers qui s’élève sous nos yeux, délétère, vicieux et désossé de toute normalité.
Les images, ainsi collées et juxtaposées, sont décontextualisées et déplacées de leur base originelle et associées à d’autres icônes pareillement émigrées, qui, accouplées, accouchent de calembours visuels singuliers teintés d’un humour acide et décapant.
En cela, Denis Dubois et ses drôleries imagées se placent dans la filiation d’un Magritte ou d’un Mariën, sans toutefois en oublier de se connecter au temps présent et de poser un œil sévère et critique sur la société de consommation exacerbée du XXIe siècle.
© Denis Dubois, Équerre
© Denis Dubois, Bicycle
© Denis Dubois, Baignoire© Denis Dubois, Gigot
© Denis Dubois, Sandre
Alternativement, Denis Dubois introduit une réflexion sur le rapport entre l’homme et les choses, entre l’homme et l’animal, entre l’homme et lui-même. Dans une vignette, la figure éreintée d’Atlas dérange la narration mythologique traditionnelle et porte au-dessus de sa tête une patate géante. Dans une autre, un toréador dompte sans zèle un chiot inoffensif dans une arène entièrement vide, alors qu’ailleurs, un chasseur de baleine est écrasé sous le poids titanesque de sa proie marine, le harpon encore serré entre sa main meurtrie. Ici, un homme porte le visage d’un cadenas encombrant, symbole de l’uniformisation castratrice contemporaine. Là, un autre essaye stérilement de soulever l’immense poids d’un rat démesurément grand dans une fascinante inversion des proportions.
Quelque soit le thème abordé et l’image utilisée pour l’illustrer, le leitmotiv du second-degré et du pessimisme existentiel demeure, chez Denis Dubois, résolument omniprésent.
Denis Dubois, Atlas ©
Denis Dubois, Matador ©
Denis Dubois, Maubit Dick ©
Denis Dubois, My Life ©
Denis Dubois, Erratum ©
Par le biais d’une œuvre globale multithématique, brillamment pensée et soigneusement exécutée, l’artiste nous offre définitivement un voyage surréaliste et alternatif dont on ne sort pas indemne. Encore faut-il toutefois, pour ressentir les séquelles de cette expérience, être capable de s’extirper de cet univers encore plus véritable que la vraisemblance.