Un entretien Boum! Bang!
L’art comme prise de conscience de l’incommensurable, entre ce qui est tangible et ce qui ne l’est pas. Ultra-lucides, résonnant l’un l’autre comme des montagnes inséparables, rationnels ou irrationnels tour à tour et chacun à leur manière. En ballade sur les quais de la Seine, c’est une conversation à bâton rompu, informelle, à l’américaine. Cette interview croisée de Daniel Martin Diaz et de sa femme Paula Catherine Valencia, sa Gala, est une lueur de plus dans les méandres d’un art sorcier. La chance d’une rencontre de pure poésie comme seul Paris sait en offrir. Une onde de choc. Deux âmes fusionnées que nous ne pouvions pas manquer, une œuvre à reconnaître où le travail, l’amour, les rêves, ont tout d’une formule magique en laquelle il faut encore croire!
Les œuvres de Daniel Martin Diaz présentées à paris, en marge de la FIAC, à la Outsider Art Fair par le magazine Hey! et à la Slick Art Fair par l’Inlassable Galerie (exposition visible jusqu’au 7 décembre 2014 à la galerie) sont des inédites jamais exposées aux USA.
B!B!: Quelles sont vos origines et comment tout a commencé?
Daniel Martin Diaz: J’ai été élevé aux USA par mes parents venus du Mexique. Petit je dessinais mais rien de spécial, sans aptitude particulière, je faisais ça comme tous les enfants. Je n’ai jamais pensé devenir artiste. À vingt ans j’ai découvert Giorgio De Chirico dans un livre, chez un ami. J’ai été soufflé par sa peinture et les paysages surréalistes, par la représentation magistrale de la solitude dans son œuvre. Je m’y suis senti connecté car à l’adolescence j’étais assez solitaire, je ne faisais pas partie d’un groupe ou d’une tendance. Je me suis reconnu dans cette peinture, elle m’inspirait. Cette première fascination m’a ouvert à l’art. J’ai commencé à m’instruire. Je suis autodidacte tant dans les références que dans la pratique. Un peu plus tard, dans une galerie, j’ai découvert Joel-Peter Witkin, ça a été mon deuxième choc artistique, ça a changé ma vie, mon regard sur le monde. Je ne voulais pas regarder mais je ne pouvais pas m’en empêcher. La beauté de l’horreur, la brutalité de la vie et aussi la beauté et le romantisme, tout en un! À l’époque je faisais uniquement de la musique mais la petite amie de mon frère était assistante en école d’art et je récupérais du matériel qu’elle sortait pour moi de l’Université d’Arizona. Ma toute première peinture représente une Madone, j’ai alors continué, encouragé par Paula. J’avais environ 27 ans. Je n’avais jamais fait d’expo chez moi, au Musée des Beaux-Arts de Tucson, puis une nouvelle curatrice a pris la tête du musée et m’a proposé une exposition personnelle. Il y a eu beaucoup de presse autour de cet événement. Ont suivies d’autres expositions de groupe dans des petites galeries. Enfin, La Luz De Jesus Gallery à Los Angeles m’a repéré, ça a été l’explosion et avec les publications dans Juxtapoz mon travail a été reconnu à l’international. Il y a déjà plus de dix ans de tout cela. Encore aujourd’hui j’en suis ému, ça me semble toujours aussi dingue!
Paula Catherine Valencia: Daniel et moi nous nous sommes rencontrés en 1989. Je chantais déjà, j’étais un peu modèle aussi. Il écrivait de la musique. Nous avons tout de suite été séduits l’un par l’autre sur le plan des collaborations artistiques. Le reste de la séduction a suivi… depuis lors nous marchons main dans la main à travers nos vies d’artistes. J’ai tout de suite été enthousiaste pour collaborer et chanter avec lui, monter pleins de projets, nous avons créé le groupe Blind Divine. On écrit toujours ensemble, l’émulation entre nous ne connaît pas de répits. Je dessine aussi, j’écris beaucoup pour lui et me suis occupée des choses moins drôles, plus administratives. Mais l’écriture a une place importante dans ma vie que ce soit des chansons, de la poésie… ou des dossiers de presse!
B!B!: Que peux-tu nous dire de ton iconographie? Comment définirais-tu ton art?
Daniel Martin Diaz: Désormais je me base essentiellement sur la science, la conscience que nous faisons partie d’un grand tout. Mon iconographie comporte de nombreuses strates: la psychologie, la philosophie, l’infiniment grand et l’infiniment petit, l’anatomie humaine et le cosmos, les motifs que l’on trouve dans la nature et qui invitent à la méditation. J’ai une passion infinie pour les trous noirs, leurs fonctionnements et leurs mystères; je ne cesse de me documenter sur ce phénomène. J’ai toujours été fasciné par les nouvelles découvertes: l’électricité par exemple. Ces inventions modernes créent de nouveaux langages, ce sont des moments-clés de l’humanité, avec une dimension absolument magique. Il y a une forme de mysticisme qui se dégage de la science. L’imagination, la spiritualité ne sont pour moi pas étrangers à de telles découvertes alors forcément ça inspire les artistes; il n’y a qu’à voir l’intérêt de Salvador Dalí pour la relativité d’Albert Einstein. Les exemples sont légions: les impressionnistes et la technologie photographique, les théories de Michel-Eugène Chevreul sur la lumière. Art et sciences ont toujours été intimement lié. De nos jours, l’homme se fond avec les machines, les ordinateurs. On en est trop excité pour le moment et on manque de recul mais il faudra bien y songer: l’être humain n’est pas « digital » mais tend à le devenir, c’est le fantasme du XXIème siècle même si à mes yeux cela semble dangereux, on finira par être dépassés, et ça peut bien nous détruire avant qu’on ai eu le temps de souffler!
Pour parler de ma « première période » – de mes travaux les plus anciens -, je ne peux renier les influences de mes origines mexicaines même si mes parents ne m’ont pas fait baigner dans cette culture, au contraire, il fallait s’intégrer. J’ai aussi beaucoup regardé l’art médiéval, notamment Jérôme Bosch et autres primitifs flamands, lorsque je partais à l’assaut et à la découverte de l’histoire de l’art aussi vaste et dense que l’humanité elle-même. Je ne crois pas en la politique de la Tabula rasa en art, je fais mon propre mélange entre passé et avenir, tradition et technologie. Bien qu’inévitable, j’ai toujours du mal avec les qualificatifs Art Naïf, Art Brut, etc. Je suis tout sauf naïf et brut! En revanche, oui, je suis autodidacte et fier de l’être, ça confère à mon travail liberté et authenticité. Je veux à tout pris garder une pureté quasi enfantine. De toute façon les maîtres de la peinture et du dessin sont inégalables et je n’ai aucun désir de challenge face à l’histoire de l’art. Pire: je préfère un minuscule tableau anonyme à un Rubens écrasant de technique et de dimension. Je joue essentiellement sur le sens, les symboles et sur les émotions. Si je commence un travail et que l’émotion n’y est pas, c’est poubelle!
B!B!: Parlez-nous de ce que vous avez construit ensemble, y compris la figure d’un couple d’artiste, un mythe et un empire:
Daniel Martin Diaz: Avant de peindre je dessine et elle fait la critique du premier dessin, elle donne alors son feu vert pour la peinture. Elle me permet de rester concentré sur mon travail et s’occupe de tout ce qui est promotionnel, elle me connaît si bien! Et je ne pourrais pas le faire seul Bâtir un empire! Ô God! On n’y a jamais pensé en ces termes. On a beaucoup travaillé et échangé avec la communauté, le public local, fait de l’art public. On s’est fait connaître comme ça. Pour avoir notre propre galerie, on a bossé d’arrache-pied en faisant assez d’argent avec notre art et notre musique.
Paula Catherine Valencia: On a tenu notre propre galerie The Sacred Machine pendant 4 ans. C’était une belle aventure mais ça devenait trop de travail, je me suis un peu trop oubliée pendant toutes ces années, pour nous, pour notre fils, j’étais épuisée. J’ai joué mon rôle de femme protectrice jusqu’au bout mais maintenant que tout le monde est sur des rails je souffle un peu, je me remets à des projets personnels, à écrire sous le pseudonyme d’Amélia Poe.
B!B!: Comment décririez vous votre couple, quel est la place du symbolisme dans votre vie quotidienne?
Daniel Martin Diaz: Je suis le scientifique, elle est la druidesse. Bien que très différents on se complète, l’équilibre est parfait. Quand on se dispute, on gagne chacun notre tour et on joue fair-play.
Paula Catherine Valencia: Notre quotidien est totalement onirique. Le matin Daniel joue de la guitare ou du piano, pendant ce temps je chantonne en préparant le café. On lit beaucoup. Bien que très sollicités, on aspire à une vie calme. On parle de philosophie, de religion et de spiritualité. On est toujours dans une démarche de contemplation mais c’est vrai qu’on n’est pas pour autant oisifs!
B!B!: En quoi croyez-vous?
Daniel Martin Diaz: Je suis de confession Catholique par tradition mais je crois en des choses qui me semblent plus profondes. Je préfère descendre au niveau moléculaire pour tenter de comprendre les mystères de la création. Je m’accorde plus avec Spinoza qu’avec les Evangiles! Je n’ai pas peur de la mort, j’espère juste être assez courageux face à la maladie pour me lever et analyser la douleur, accepter l’échéance de la fin proche, le processus de disparition. La mort? Une autre étape de la vie, une réunification avec la conscience de l’univers, le grand Tout. C’est très difficile de verbaliser cela, ce sera sans doute encore plus dur de le vivre mais soyons prêts, c’est inéluctable!
Paula Catherine Valencia: J’ai toujours été quelqu’un qui regardait vers « l’intérieur », je suis très connectée avec les émotions et leur analyse – un peu, même complètement mystique! – Il en est de même quant à ma relation à la nature, je suis adepte des médecines alternatives, du chamanisme. J’essaye de transcender la réalité terrestre qui n’est que trop temporelle, éphémère. Je crois en la réincarnation. Parfois je parle de façon très métaphorique et ça l’énerve, il a besoin de choses plus claires, plus tranchées, je m’en amuse beaucoup!
B!B!: À vos yeux, qu’est ce que la beauté?
Daniel Martin Diaz: Oscar Wilde disait: « Art is useless ». De là, je pense par exemple à La Joconde. Pourquoi déplace-t-elle depuis des siècles une telle foule? Pourquoi un tel engouement pour un portrait ma foi bien banal et au final ce n’est que de la peinture sur un bout de tissu tendu entre quatre morceaux de bois. Je pense que la beauté est aussi inutile. Mais cette inutilité devient précieuse par une certaine spéculation humaine, le temps y ajoutant une valeur et c’est profitable! Profitable au Louvre, à tout ceux qui y travaillent et à tout un pays, dans le cas du plus célèbre portrait du monde! Alors pour moi la beauté c’est quand le plus grand nombre s’accorde à attribuer une place à part à quelque-chose d’inutile.
B!B!: Quel est ton regard sur le monde et sur le monde de l’art?
Daniel Martin Diaz: Je nous vois comme des petites bactéries bien agitées. Des tissus de cellules, des organismes vivants atteints de mégalomanie. Notre monde actuel est basé sur une technologie dont nous avons tout juste le contrôle. Quant au monde de l’art je n’y pense pas vraiment. Je n’ai jamais forcé pour entrer dans ce monde là, on m’y a mis parce que mon art était apprécié, ça s’est fait tout seul, via des échanges humains, c’est ce qui me paraît important. Tout ce qui est business doit se faire tout seul parce que ça ne m’intéresse pas. Je fais, ils vendent, je ne veut pas en savoir plus.
Paula Catherine Valencia: (soupirs)!
B!B!: Quels sont vos projets pour l’avenir?
Daniel Martin Diaz: Je ne sais jamais à l’avance ce que je vais faire… lire, m’inspirer, me balader. Ce qui m’importe c’est la surprise, l’émerveillement. Je ne peux pas m’auto-psychanalyser, ça c’est ton job à travers mon art! (Rires).
Paula Catherine Valencia: Nous avons le projet de partir vivre à Los Angeles, écrire une nouvelle page, essentiellement axée sur la musique cette fois, sur un projet commun Cristal Radio. Tucson, nous y sommes nés, nous y avons la famille bien sûr, mais nous en avons aussi fait le tour et nous ne serons pas en terre étrangère à L.A.
B!B!: Et pour finir, un questionnaire façon Proust:
Si tu étais un animal?
Daniel Martin Diaz: Un vautour! Ces oiseaux me fascinent; un coup d’ailes et ils planent de longues minutes utilisant peu d’énergie pour une vision tellement vaste.
Paula Catherine Valencia: Un corbeau. Un animal mal aimé dans trop de cultures occidentales et qui dans des cultures soi-disant primitive est symbole de bonheur et de secrets de l’âme remontant vers la lumière.
B!B!: Si tu étais une passion?
Daniel Martin Diaz: La création, n’importe laquelle!
Paula Catherine Valencia: L’Amour! Un amour romantique, c’est sans doute Paris à travers mes yeux d’Américaine qui me fait dire ça!
B!B!: Si tu étais une phobie?
Daniel Martin Diaz: L’idée que, malgré ses tares, l’humanité va s’éteindre, engloutie par l’implosion du soleil, tout ce qui nous entoure, la Tour Eiffel, tout ça sera réduit à néant. Le néant, je crois que c’est ce qui me fait peur.
Paula Catherine Valencia: La peur de couler.
B!B!: Si tu étais un ustensile du quotidien?
Daniel Martin Diaz: Une fourchette, j’adore manger, tant pour le gout que le symbole. C’est la vie et c’est dalinien.
Paula Catherine Valencia: Un livre.
B!B!: Si tu étais un fantasme?
Daniel Martin Diaz: L’inspiration infinie. Et le juste milieu entre le coté underground et le coté star dans mon domaine.
Paula Catherine Valencia: Un ange, quelque chose d’immatériel.
B!B!: Si tu étais une femme célèbre?
Daniel Martin Diaz: Marie Curie.
Paula Catherine Valencia: Amelia Earhart.
B!B!: Si tu étais un homme célèbre?
Daniel Martin Diaz: Cary Grant!
Paula Catherine Valencia: Edgar Allan Poe.
B!B!: Si tu étais une partie du corps humain?
Daniel Martin Diaz: le cerveau.
Paula Catherine Valencia: les lèvres.
B!B!: Quelle serait ton épitaphe?
Daniel Martin Diaz: Aucune. Je ne veux pas de tombe, être brûlé et que mes cendres soient dispersées.
Paula Catherine Valencia: Pareil!
B!B!: Si je te dis Boum! Bang!?
Daniel Martin Diaz: Zoom in!
Paula Catherine Valencia: Create!