“La peinture abstraite représente un objet total où l’espace est un continuum qui joint au lieu de séparer” écrit Clément Greenberg dans Art et culture1. Le travail de Clément Mancini fait écho à cette conception moderniste de l’oeuvre qui considère l’espace de la peinture comme surface plastique ininterrompue qu’on regarde en tant que tel et non à travers lui. De là se crée l’effet d’une “visualité pure”, d’un ensemble pictural complet qui n’a rien d’autre à cacher que ce qu’il offre, presque servi sur un plateau. La peinture de Clément Mancini est de fait autonome : elle rejette tout mimétisme et laisse voir sa facture comme un maçon ses outils.
À cette idée participe entièrement le matériau-plâtre, sorte de marque de fabrique du peintre, qui lie l’oeuvre comme un bloc inséparable. Le plâtre, matériau aux propriétés ignifuges et isolantes, crée un pare feu rassurant où l’oeil peut se poser en sécurité. Du grec plâsso (“former, mouler”), le plâtre s’enduit, s’étale, s’étire. Clément Mancini l’utilise sous forme liquide, en le versant directement sur la toile au sol, avec toute la spontanéité qui accompagne ce geste. Dès lors, émerge une dimension sculpturale qui brouille les repères : le plâtre est pris comme peinture et la peinture est tout en volume. Cet aspect matiéré de l’oeuvre ainsi que sa matité la rapproche d’un mur qu’on aurait décapé. Parfois, des cadres internes à la toile viennent créer des ouvertures comme des trappes débouchant sur d’autres mondes, mettant davantage en valeur les légers reliefs.
Sur la couche d’albâtre, s’allongent des empreintes terreuses ou électriques, caractéristiques de la pâte de Clément Mancini : bleu nuit, marron foncé. À l’acrylique ou à la craie grasse, ces couleurs viennent exciter les aspérités du plâtre et ses déclinaisons crémeuses. La touche est spontanée : c’est une peinture qui a foi en l’immédiat. À la manière de ses traits, l’artiste, quand il crée, danse devant son support, son corps est pleinement en contact avec l’oeuvre. Il n’est pas anodin de rappeler que son oeil a été éduqué à l’art de la rue et au graffiti. Du grec graphein signifiant à la fois “écrire” et “dessiner”, le graffiti désigne avant tout une marque laissée de manière impulsive. Or, la trace est particulièrement présente dans le travail de Clément Mancini, dans le sens d’une trace humaine figée dans un enduit pas encore sec. Ce phénomène instinctif donne en effet à ces gestes la forme d’une signature de l’artiste, sorte de griffe apposée avec son pinceau. Rudimentaires, les signifiants graphiques sont comme des schémas indiquant un passage. La peinture de Clément Mancini est ainsi héritière d’une abstraction informelle historique, en en retenant un rapport à l’écriture, évoquée pour son caractère script indépendamment de toute production de sens.
Présenter, moins l’objet du dessin que l’idée même de dessiner. Peut-être y a-t-il quelques échos, dans cette légèreté picturale, à l’enfant artiste, barbouilleur et gribouilleur qui met précisément la main à la pâte sans que soit représenté quoi que ce soit. L’originalité est dès lors d’ancrer cette idée de dessin libre dans le plâtre comme dans du marbre. “Toute sensation et toute Figure est déjà de la sensation “accumulée”, “coagulée” comme dans une figure de calcaire”, écrit Gilles Deleuze dans son ouvrage sur Francis Bacon. Les badigeons de rouille et de cobalt sur plâtre de Clément Mancini se lisent comme des strates d’un vécu enfermé dans le mastic. Ces traits évoquent en effet cette notion de figure “figurale”, définie par l’auteur dans le même texte comme une figure non figurative, sorte de fulgurance échappant au discours et à la narration.
1 GREENBERG Clement, Art et culture, essais critiques, éd. Macula, 1988, p191
2 DELEUZE Gilles, Francis Bacon : Logique de la sensation, Paris, La Différence, p.27