Avec une voix posée calmement, et dans le cadre du vernissage de son exposition « Terre anonyme », l’artiste sud-coréen Chae Sung-Pil l’affirme avec solennité : « La Terre est comme ma mère ».
Les mots et l’intonation sont ceux d’un homme aussi bien convaincu par ses dires que par la cohérence de son œuvre, actuellement présentée au sein de la toute jeune galerie Shchukin. Car cette Terre, et la filiation maternelle qu’il lui accorde, elle est au centre de toutes les préoccupations d’un artiste constamment écartelé entre tradition orientale et modernisation occidentale, et d’abord dans son acceptation spécifiquement « planétaire ».
À l’image d’un Terrence Malick qui se trouverait soudainement libéré de la grandiloquence de ses effets spéciaux, Chae Sung-Pil interroge la matrice, le cosmos, la logique qui a fini par emmener la création totale des choses. Entre terrestre et céleste, il paraît ne jamais devoir trancher, laissant la porte ouverte à la multiplicité des possibles. Témoin de cette hésitation volontaire, les interprétations diverses que l’on peut donner à son éclatante « Origine », qui pourraient bien symboliser la fusion des éléments, la coulée de l’eau, comme le tracé effectué par une lumière divine émanant des cieux. Chez Chae Sung-Pil, la Terre est glorifiée, et peu importe la manière par laquelle elle a pu être engendrée.
À mille lieues de la création paysagiste et réaliste, l’œuvre de ce coréen permet plutôt au fantasmé et au réel de se rencontrer, et accouche de paysages qui n’appartiennent finalement qu’à l’esprit monomaniaque de leur ambitieux créateur, jadis ressorti « terrifié » d’une douloureuse expérience vécue au sein de la très urbanisée et oppressante Séoul. Loin des éléments primitifs, c’est avec la pratique de son œuvre que cet enfant de la nature élevé au bord d’une île de la péninsule sud-coréenne trouve l’accomplissement d’une sérénité nécessaire.
La Terre comme leitmotiv thématique, donc, mais aussi comme matière utilisée pour la constitution de son sujet. Car Chae Sung-Pil peint la Terre en utilisant de la terre, qui, une fois récoltée et débarrassée de ses gênantes impuretés, se voit diluée dans l’eau avant d’être mélangée à de la colle, de la poudre d’argent ou encore de l’encre.
© Chae Sung Pil, Rêve de la terre
© Chae Sung Pil, Terre anonyme, 160×160 cm
© Chae Sung Pil, Origine, 2009, 200×160 cm
© Chae Sung Pil, Rêve de la terre (Circulation I), 2010, 138×138 cm
© Chae Sung Pil, Terre anonyme, 160×160 cm
Ce matériel originel, il ne le puise d’ailleurs pas uniquement dans la fertilité de la Corée, mais aux quatre coins d’un Monde qu’il s’empresse de parcourir depuis une dizaine d’années. Ce voyage initiatique et artistique l’aura notamment mené sur le territoire français, que l’artiste a largement investi depuis douze années (il a étudié à l’Université de Rennes ainsi qu’à la Sorbonne à Paris), lui qui réside et travaille actuellement dans la petite ville d’Auvers-sur-Oise. Curieuse corrélation des hasards ou action hautement planifiée, la ville est viscéralement liée à la mémoire et à l’historique des impressionnistes (à la tête desquels Van Gogh, qui y termina ses jours en 1890), qui interrogèrent comme lui la manière de représenter le monde et son habillage tellurique.
Loin des sentiers terreux ou des nénuphars, c’est du côté du béton de l’avenue Matignon qu’il faudra pour l’heure se tourner, afin de découvrir le travail de l’un des artistes les plus émergents d’une scène artistique sud-coréenne qui sera mise à l’honneur en France au cours de l’année 2015.
© Chae Sung Pil, Terre anonyme, 2013, 138×170 cm
© Chae Sung Pil, Terre anonyme, 138×170 cm
© Chae Sung Pil, Terre de vent, 2010, 170×138 cm
© Chae Sung Pil, Terre anonyme, 138×170 cm
© Chae Sung Pil, Terre anonyme, 2014, 160×200 cm
« Terre anonyme »
du 6 mars au 30 mai 2014
Galerie Shchukin
4 avenue Matignon
75008 Paris