Après un largage massif de bombes dessinées, peintes et sculptées sur ce site il y a une quinzaine de jours, notre exploration dans l’univers des « boums » et des « bangs » dans l’art continue. Pour ce troisième épisode, le viseur Boum! Bang! est pointé sur un nouveau sujet: le potentiel graphique de l’explosion. Imprévisible, protéiforme, l’esthétique de ce phénomène est en effet souvent utilisée comme point de départ d’un procédé de création ou dans la structure d’une composition. Brusque, brutale, bruyante, l’explosion renferme également en elle une telle charge de violence et d’émotions qu’elle ne peut que titiller la curiosité et le talent des artistes. Alors, « boum » voyage!
Première détonation avec ce dessin signé Otto Dix et datant de 1918. Proche du style de certaines toiles de ce peintre allemand, ce portrait d’explosion est curieusement sans contexte. L’artiste aurait-il souhaité se concentrer sur sa complexité et relever le défi de donner une forme à quelque chose qui n’en a pas? À l’aide de lignes cassées qui répondent à des formes plus arrondies, il y parvient et restitue avec simplicité toute sa puissance.
Autre grand nom de la peinture allemande, Max Ernst qui, en 1960, peignait cette « Explosion dans une cathédrale ». Saturée par des lignes et des formes pour mieux restituer la violence de la scène, l’œuvre est ponctuée, d’ici de là, de quelques taches de couleur rappelant des vitraux. Mais l’ensemble reste impénétrable et laisse toute sa place à notre capacité à imaginer le drame se déroulant sous nos yeux.
De chaos, il est aussi question dans certaines œuvres du peintre irakien Ahmed Alsoudani qui au fil de ses toiles nous raconte la guerre qui frappe son pays. L’œuvre présentée ci-dessous n’a pas de titre et pourtant on imagine assez facilement que l’artiste a voulu y représenter une explosion extrêmement violente venant de tout dévaster sur son passage. Proche de cette cacophonie visuelle, le travail de l’artiste Franz Ackermann et tout particulièrement l’une de ses peintures qui au premier regard semble être une série d’explosions due à un bombardement. Mais la clé de cette œuvre réside dans son titre: « Mental Map: Evasion V ». Il nous permet en effet de comprendre que le peintre ne cherche pas ici à nous montrer des explosions se déroulant dans la réalité mais plutôt à retranscrire en images une sorte d’expérience mentale dans laquelle s’entrechoquent des éléments réels et des émotions.
Plus réalistes et pourtant totalement truquées, les images de l’artiste américaine Krista Wortendyke. Réalisées à partir de fragments de photographies ou de jeux vidéo, ses œuvres désintègrent les frontières entre fiction et réalité. Elles sont une sorte de matérialisation de notre propre vision de la guerre, faite non pas de souvenirs concrets mais d’images dont les médias nous abreuvent. Se servant également des explosions comme vecteur d’un message, le photographe japonais Naoya Hatakeyama les capture « en plein vol ». Sous leurs effets, la terre devient une matière nouvelle, l’air se charge de poussière et trace dans le ciel des lignes. Autant de transformations qui permettent à l’artiste d’interroger la nature des rapports de force entre l’humain et son environnement et les conséquences des mutations contre nature que nous imposons à celui-ci.
Les explosions sont-elles donc toujours lugubres? Non, elles deviennent beaucoup plus ludiques en passant entre les mains de l’artiste Roy Lichtenstein qui par son style pop et l’utilisation de ses couleurs vives et contrastées créa une série d’oeuvres curieusement amusantes alors qu’elles dépeignaient pourtant un sujet qui ne l’était pas. Encore plus gaies mais plus abstraites, les explosions arc-en-ciel de l’artiste américaine Jen Stark qui semble se servir de la forme même du phénomène pour laisser éclater sa maîtrise de la découpe et de l’assemblage du papier. Plus légères et plus sympathiques également, les explosions du sculpteur finlandais Jiri Geller qui en amenuise les effets en les représentant par de petites étincelles ou de simples écussons plus pétillants qu’effrayants.
D’explosion, il est aussi question dans le travail du trublion british Sir Damien Hirst qui a développé pour certaines de ses œuvres une version très personnelle du « Dripping » de Jackson Pollock. Baptisé « Spin painting », ce procédé consiste à utiliser la force centrifuge pour permettre à la peinture versée sur la toile de se répandre d’une manière unique en créant un effet plastique explosif.
Autre star de l’art contemporain, autre utilisation, Jeff Koons avec la dernière Art Car de la marque automobile BMW. Son explosion de lignes colorées recouvrant la carrosserie du bolide et symbolisant sa puissance phénoménale est parsemée d’éclats de matière, un motif que l’on retrouve quasiment trait pour trait dans une œuvre de Piotr Uklanski faite à partir de papiers de couleur déchirés ou dans cette illustration du duo Craig and Karl.
L’explosion sait aussi se faire parfois plus poétique comme en témoignent les peintures de l’artiste James Roper. Ses colonnes et ses spirales de fumée colorées s’entremêlent avec dynamisme et grâce alors même que leur origine est inconnue. Proches du style manga, elles évoquent une sorte de magie mystérieuse. Mystique également, cette œuvre de l’artiste américain Fred Tomaselli. Adepte du collage et des compositions spectaculaires, il recrée ici un jardin d’Eden dans lequel explose une masse d’insectes, de fleurs, de mains et de bouches poussant un Adam et une Eve écorchés vifs à prendre la fuite. Mystique toujours, l’installation de E.V.Day, artiste américaine spécialiste des créations aériennes reposant sur des suspensions. Là encore, si l’impression générale qui se dégage de l’œuvre est une sorte d’explosion de tissus, l’artiste a d’abord voulu mettre en scène un duel entre deux mariées dont les robes se désintègrent en lambeaux en créant un motif inspiré notamment du futurisme.
Trompeuse également cette sculpture de l’artiste coréen Kim Byoungho. Proche dans sa forme de celle d’une étoile implosant, il s’agit en fait d’une création ayant la propriété de produire des sons grâce à l’utilisation de technologies et de matières spéciales. Plus proche de notre problématique, cette sculpture de l’allemand Bjorn Dahlem semblant tout faire valser autour d’elle et qui pourtant représente un trou noir aspirant divers objets éclairés par de grands néons qui structurent cet ensemble. À l’inverse, cette sculpture de Tom Friedman semble réellement exploser. Malgré la fragilité et la petitesse des éléments qui la composent, de simples cure-dents, elle produit une réelle impression de mouvement et un effet optique bluffant. Cet artiste semble particulièrement intéressé par notre sujet puisqu’on lui doit également cette peinture « Big Bang » dont la composition ne nous laisse aucun doute sur sa nature. Une peinture à rapprocher d’autres, notamment de cette œuvre de Nina Bovasso ou encore de cette fresque réalisée par Gary Simmons, artistes qui tous deux nous livrent leur version d’une sorte d’explosion ultime.
Un cran encore plus loin, l’installation de Carlos Amorales permettant au spectateur, grâce à ses dimensions, de véritablement entrer dans l’événement et de se balader entre les débris projetés par on ne sait quelle bombe. Une ultime explosion, bouquet final de ce sujet mais pas de cette série d’articles puisque nous nous retrouverons la semaine prochaine avec un dernier opus consacré à l’objet explosé.