Le sabre d’enfance est trop planté chez les égéries d’Ayako David Kawauchi pour hanter l’illusion d’une paix intérieure possible. La blessure demeure. L’enfance reste un brouillon de vie que les dessins soulignent dans leurs emmêlements subtils. Surgissent dans le blanc du papier des nuits de larmes dans les bras de personne. Il s’agit pourtant de résister avec bien des blues à éteindre. Vieux jeudis. Vieille cour. Terre couleur cassis. En dépit des chiendents. Vouloir dire. Vouloir rire. Passion jamais connue. Fermeture plus qu’annuelle dans la lumière du soir. Être là. Que cela. Au bord de l’attente là où il existe dans des postures réalistes déjà quelque chose posthume.
Oui le blues, rien que le blues, le blues. À des années lumières. À des années craintives. Et leur dérive. Vers un point imaginaire. Soleil étouffé dans les cours intérieures ou plutôt les crassiers. Et le souffle de la guitare de Jimi Hendrix dans « Highway child ». Une petite fille est debout ou assise dans sa solitude. Et l’horizon sans suite. Son corps reste incertain. Visage glacé, caché, tourné vers l’intérieur. Variation entre alerte et énigme. Comme la peur. Sous la jeunesse des jupes parfois relevées ou ôtées demeurent des joyaux d’iris lointains à tout désir. Tout semble aller vers l’ombre dans la recherche de l’issue.
© Ayako David Kawauchi, Beauté de vierge, fusain et pierre noire sur papier, 40×40 cm, 2012
© Ayako David Kawauchi, Le soir, 50×50 cm, fusain et pierre noire sur papier, 2012
© Ayako David Kawauchi, Le manteau rouge, fusain et pierre noire sur papier, 105×75 cm, 2012
© Ayako David Kawauchi, Danaé, fusain et pierre noire sur carton, 140×100 cm, 2012
© Ayako David Kawauchi, Jeune fille endormie, fusain et pierre noire sur papier 95×75 cm
© Ayako David Kawauchi, Epoustouflée, fusain et pierre noire sur papier, 40×40 cm, 2014
Restent des galeries de fillettes égarées, perdues, à la recherche d’une identité parmi les friches des murs granulés. Ne pouvoir s’en délester. Cela aurait été pourtant la vraie naissance. La seule. En cet amour terrible d’un temps déjà jamais venu et que les vieux immeubles ont bloqué. Impossible d’en franchir la frontière, de prendre un train pour disparaître sur une voie lactée afin de pouvoir se regarder incrédule. Cela l’impossible naissance. Dans le fourbi de la fable. En son abîme même et l’étoffe de son insomnie. Yeux dans le vide. Ecouter le sommeil avec la politesse du silence des agneaux.
Reste l’aveu qui échappe. Ayako David Kawauchi ramène à un passé que les dessins tentent de combler. Le corps reste tel qu’il a toujours été: au bord du langage et dans l’impuissance de se penser. Il y va d’une dérobade discrètement fascinante au moment de la plus grande retenue. L’innommé invisible fait surface. Reste l’absence de présence comme essence même de la matière à être. Faille et présence. L’artiste rapproche du temps où tout semblait encore endormi mais lourd. Plutôt que de se tourner vers le couchant la plasticienne ramène à l’aube, à l’extrémité de l’ombre de la nuit et ses ombres portées. L’aurore n’est pas sans douleur: celle de ne pas être, de n’avoir pas encore été. Mais rien n’en sera dit. Tout demeure esquissé en un « théâtre » où le silence est représenté. L’enfant tente d’allumer un feu dans sa tête en sachant la cendre qu’il laissera une fois qu’il sera éteint.