Les visages sont burinés, secs et émaciés, effondrés. Boursouflures verticales parcourues d’un réseau de rides profondes au milieu duquel est fichée une paire d’yeux à l’éclat surnaturel. Les postures, rigides à l’excès, témoignent d’une dualité connue, mettant aux prises la dignité conférée par l’âge et la pantalonnade des corps ayant trop vécu. Sur les vestes de costumes, des décorations militaires, breloques d’un autre temps.
Le photographe d’origine ukrainienne Arthur Bondar n’a pas connu la guerre. Ce ne sont donc pas les reflets de ses propres souvenirs qu’il immortalise dans cette série intitulée « Signatures of war », mais la manifestation d’un monde enfoui, inconnu. De fait, les hommes et les femmes dont il tire le portrait en plan américain ressemblent à s’y méprendre à l’image que se fait, sous nos latitudes, la jeune génération des anciens combattants: personnages figés dans un autre temps, claquemurés dans des souvenirs dont leurs médailles sont les incarnations creuses et clinquantes, vidées de substance.
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
Arthur Bondar aurait pu s’arrêter là. Mettre en évidence le fossé qui sépare jeunes et anciens. Deux mondes régis pas des codes différents, que rien ne semble devoir rapprocher. Au contraire. Un gouffre culturel écartèle les générations. Et puis il y a la guerre. L’horreur de la guerre. Comment comprendre ceux qui l’ont vécue? Comment se faire comprendre des autres, quand on a entendu les balles siffler autour de soi, quand on a vu ses proches se vider de leur sang? Un gouffre, oui.
Pourtant, à aucun moment, l’oeil du photographe ne se départ de la pointe d’empathie qui auréole chacun de ses clichés. L’emploi d’un Polaroïd montre assez la proximité qu’Arthur Bondar essaie d’entretenir avec ses modèles. On a l’impression d’ouvrir un album de famille peuplé de nombreux grands-pères et grands-mères, d’oncles, de tantes, de vieux cousins au torse barré de plaques de métal.
Arthur Bondar, avant de shooter, écoute. Longuement. Il écoute les fragments de vies dont ces personnes âgées sont les dépositaires. La relation de confiance qu’il réussit à instaurer avec ses sujets n’est pas anodine. Elle permet à ces derniers, qui se sentent écoutés, de s’ouvrir. Il n’en faut pas davantage pour que leurs yeux se mettent à briller, pour que leur visage se nimbe d’une lueur de jeunesse. L’âme, répète le photographe à l’envi, n’a pas d’âge. Ce qu’on avait pris pour une galerie de personnages décrépis s’avère en fait une formidable ode à la (sur)vie.
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
© Arthur Bondar, série Signatures of War
Arthur Bondar, on l’a dit, vient de l’Est. Il est finaliste du premier concours organisé par la Fondation UART, visant à mettre la lumière sur les travaux de certains des artistes ukrainiens les plus prometteurs. À ses côtés, le jeune photographe Dmitri Bogachuk, le scénographiste Aleksander Golynsky et les peintres Xenia Hnylytska et Nicolas Tolmachev. Des noms pour l’instant inconnus au bataillon. Pour l’instant. On soupçonnait mal une telle vigueur dans les ateliers du grand Kiev.