Les photographies d’Amira Fritz emportent et touchent par une poésie tirée paradoxalement d’un effet de réel saisit dans la radicalité de prise sans concession. L‘artiste ne cherche pas à embellir, elle propose un constat pour signifier sinon un vide du moins une interrogation qu’aucune réponse ne vient combler. Néanmoins la frontalité crée une dérive là où pourtant l’exotisme est évacué par une confrontation entre le photographe et ses « modèles », comme entre ses photographies et ceux qui les regardent. Surgit le flux persistant d’un silence que les visages fermés semblent multiplier. L’artiste nous plonge vers ce qui pour beaucoup reste encore l’inconnu mais où la nuit finit par se retirer même si les photographies demeurent sombres.
Sous l’apparente froideur, le vocabulaire d’images devient la réalité ressentie. On n’en parle jamais. On ne parle que du réel, pas de sa réalité. Amira Fritz le fait. Et ses œuvres parlent d’elle et d’autre chose qu’elle et cela alimente la perception, la construction du monde du regardeur. Dans l’entrelacs subtil du pictural et du photographique, le visage et le corps laissent apparaître la matérialité élémentaire du monde émergeant, qui peut devenir dominant. L’artiste dans la plus extrême retenue débusque donc l’intime particulier créé par une une lumière d’aube ou de crépuscule. Avec parfois une « pointe » intempestive: le portrait d’une jeune femme pourrait sembler anodin si ce n’était ces pieds enfoncés dans l’eau d’une rizière.
Nous pénétrons alors dans un paysage sensible et inédit, susceptible de provoquer une mutation. Nous franchissons un seuil. Nous savons que la difficulté demeure entière de se situer en un tel franchissement, qu’il faut extraire de la pure illusion et de la simple transgression, comme de l’errance et de la répétition. La photographe en proposant des vues sobres et sans concession, permet de créer une intensité qui creuse et défait mais qui reste muette. Les modèles ne sont jamais de simples Pierrots lunaires ou exotiques. Ils permettent d’atteindre le noyau où la pensée manque de prise et devient la battement sourd d’une porte dérobée qui montre le bout du monde et où la nuit finit par se retirer.