Peintres, écrivains, photographes, nombreux sont les artistes ayant immortalisé Paris. Célébrée pour sa beauté, la ville lumière fascine, émerveille. Son ventre grouillant, ses bords de Seine propices aux promenades, ses majestueux musées – tout en elle est attrayant. Elle est pourtant fourbe et cruelle. En marge, derrière les amoureux de Doisneau, les clochards de Paris squattent. Glacés l’hiver, agglutinés sur les quais de métro, sur les bouches d’égout de la Gare du Nord, ils sont ces êtres toujours présents que l’on ne regarde jamais. Ces invisibles de Paris sont pourtant l’un des ingrédients fondamentaux de sa poésie. Mais d’une poésie qui ne serait pas un cliché aseptisé.

Paps TouréPaps Touré © www.papstoure-photographe.com

« Les gens riches à Paris demeurent ensemble, leurs quartiers, en bloc, forment une tranche de gâteau urbain dont la pointe vient toucher au Louvre, cependant que le rebord arrondi s’arrête aux arbres entre le Pont d’Auteuil et la Porte des Ternes. Voilà. C’est le bon morceau de la ville. Tout le reste n’est que peine et fumier. » Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline

On pourrait, comme Céline, scinder la ville, dissocier une façade brillante de bas-fonds tristes et sales. Le bon et le fumier. Cette vision, réaliste, a pourtant quelque chose d’absolument limitatif. Sans pour autant nier la tristesse des conditions de vie des plus démunis, il est possible de porter un regard authentique et beau sur les paradoxes de la capitale. C’est ce regard juste et aimant que Paps Touré, photographe d’origine ivoirienne ayant grandi dans le XIXe arrondissement semble porter sur la ville. Sillonnant les rues son objectif à la main, l’homme observe et capte ces ponctuations du quotidien qui font sourire ou qui émeuvent. L’imperceptible que l’on appelle la vie « ordinaire », voilà en réalité l’objet de sa quête. La mythologie Paps Touré veut en effet que la photographie ait commencé de façon quasi accidentelle, avec un Nikon D40: « Tout bascule dès la première photo. Au beau milieu d’une glaciale journée d’hiver, nous sommes sur le pont de Stalingrad. Notre homme arbore fièrement son appareil flambant neuf. Un vagabond d’une cinquantaine d’années regarde l’horizon depuis le pont, tourne la tête, Paps shoote, c’est dans la boite. Quand il rentre chez lui et qu’il regarde le cliché, c’est un véritable choc émotionnel. Paps est dépassé par l’image qu’il vient de créer, une image qui lui raconte alors la vie, la rue… ». Cette épiphanie racontée par la Rule établit d’emblée l’approche de la photographie comme moyen d’arriver à une fin: saisir le merveilleux du quotidien. Faire parler la ville sans la juger, recevoir ce qui s’impose à lui.

Paps TouréPaps Touré © www.papstoure-photographe.com
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Les photographies sont toutes en noir et blanc, comme une façon de garder une distance avec le réel ou de faire preuve d’une certaine pudeur vis-à-vis des sujets arrachés à l’anonymat de l’instant par le geste du photographe. Leurs messages, toujours bienveillants, sont multiples. Comique de situation – quand l’improbable révèle l’ironie d’une situation: un homme avec son balluchon – celui qui comporte probablement tous les maigres biens qu’il possède – passant devant une vitrine Cartier, un homme endormi sous un abribus devant une affiche publicitaire pour La Nuit d’Yves Saint-Laurent et dont le corps vient prolonger un splendide Vincent Cassel en costume noir sur papier glacé. Romantisme décalé – quand Paris la belle donne un sens nouveau aux corps: un clochard, le corps baigné par le soleil, sur un pont dans une attitude de rêverie, deux vieillards sur un banc dans une attitude à mi-chemin entre la tendresse (celle qui ne s’exprime normalement que dans l’intime) et le désespoir. Beauté cruelle – quand une situation de misère évidente fait sourire et transporte: un homme dans le mouvement de la nuit qui semble saisir toute l’énergie du décor qui l’entoure et qui rit. Il ne s’agit pas ici de faire du misérabilisme pour entrer en galerie, loin, très loin de là. En ce sens, il semble que le geste de Paps Touré soit comme une émanation du regard que portaient certains naturalistes sur les mouvements de la ville.

“Ce n’est pas seulement par plaisanterie que Paris a été nommé un enfer. Tenez ce mot pour vrai. Là, tout fume, tout brûle, tout brille, tout bouillonne, tout flambe, s’évapore, s’éteint, se rallume, étincelle, pétille et se consume. Jamais vie en aucun pays ne fût plus ardente, ni plus cuisante.” La fille aux yeux d’or, Honoré de Balzac

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Et quand ce n’est pas l’humain qui le fascine, Paps Touré tourne son regard vers les chiens. Le clébard, ce meilleur ami de l’homme, ce petit chien à sa mémère, protecteur quand il est de garde, guide quand il est d’aveugle. Le clébard, souvent simple prolongement de l’homme. Le clébard est ici regardé, célébré pour lui-même, pour ses expressions improbables et pour sa personnalité bien trempée. Paps Touré saisit encore l’instant magique, celui où l’âme du toutou se révèle, profonde et belle. Sa série, Dog’s life, parle de ces vies de chiens qui sont simples et qui expriment des émotions authentiques comme la vie.

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Incongrues, poétiques, les photographies de Touré ont la sincérité de postures comme celles de Miller, Orwell, Basquiat ou Kerouac – en définitive la texture de ces artistes-là qui ne font pas de compromis, ceux dont le rapport à la vie est un rapport de force (et par-là même un rapport à la sensibilité extrême, désarçonnante).

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