Nunca est l’un des street artistes brésiliens les plus connus à l’heure actuelle. Ayant exposé en Allemagne, en Grèce et même en France en 2009 (lors de l’exposition « T.A.G. » au Grand Palais, et dans la Galerie parisienne Le Feuvre), il a aussi participé à la décoration de la façade extérieure du Tate Modern de Londres, lors de l’exposition « Street Art » en 2008, en compagnie de quatre autres grands street artistes, dont l’Argentin Blu. Un art des rues aujourd’hui mondialement reconnu. Nunca est même devenu, dans le cas de ce travail pour le Tate Modern, l’un des plus jeunes artistes à recevoir commande d’un musée de stature internationale.

Nunca, de son vrai nom Francisco Rodrigues da Silva, nait dans la banlieue de São Paulo en 1983. Il commence, dès l’âge de 12 ans, à peindre dans les rues de sa ville natale, en s’inspirant notamment d’une forme singulière du « tag » brésilien, le pichaçao, qui connaît son essor dans les années 1980 à São Paulo. Le pichaçao est un art de la rue, mais aussi un art de vivre, un art du risque. Les pichadores, principalement issus des favelas de São Paulo, pénètrent l’espace urbain au petit matin, armés de bombes de peinture, et recouvrent bâtiments, maisons et édifices publics (car il s’agit avant tout d’un art de la transgression). Plus le pichaçao est inaccessible, plus il a de la valeur. Mais plus les artistes risquent leur vie afin, selon eux, de déranger la société qui les a marginalisés, et aussi, parfois, de revendiquer leur territoire (dans le cas de rivalités spatiales entre gangs). Le mot provient du verbe portugais pichar, qui signifie littéralement appliquer le goudron (piche), mais aussi critiquer durement : langage esthétique – littérale – et revendication idéologique sont donc ainsi intimement mêlés. Ils développent un style bien particulier, le straight tag : inspiré par les groupes de métal scandinaves qui connaissent un succès notable à cette époque, même au-delà de l’Atlantique. Les tags présentent ainsi des caractères issus de l’alphabet runique, dans une typographie bien droite et carrée. Un mélange original des influences, entre la Scandinavie, le Brésil et ses origines indigènes.

Les premiers tags de Nunca s’inspirent de ce langage, devenant progressivement figuratifs. Il reprend très vite des figures indigènes et des références à une tradition brésilienne autochtone. Car l’art de Nunca sera avant tout un art du métissage, un art de l’entre-deux. Entre la revendication idéologique et des supports parfois académiques et officiels, la toile ou les murs de musées mondialement reconnus. De plus, s’il évoque avec force les traditions indigènes du Brésil (des autochtones ou d’origine africaine) et, s’il développe une dimension narrative renouant notamment avec le passé de la colonisation, l’iconographie de Nunca prend place dans l’espace de la métropole gigantesque et moderne de São Paulo, les supports venant rejouer le dialogue entre l’ancien et le moderne proposé par le dessin. Le pinceau et la bombe lui permettent de créer des effets de gravure par les ombres et les contours ainsi suggérés, imitant en cela, par de nouveaux instruments, la technique utilisée par les conquérants au moment de la colonisation afin de narrer la découverte du Nouveau Monde. L’utilisation de l’ocre rouge renvoie, de la même manière, à l’urucum, un pigment naturel de couleur rouge, utilisé par certaines tribus brésiliennes pour peindre visages et corps lors des rituels. Nunca opère ainsi un déplacement et une hybridation, utilisant la technique picturale des conquistadores pour narrer la marginalisation actuelle des indigènes, donnant par ailleurs à la ville et à ses supports une dimension religieuse et corporelle.

Un art urbain de la verticalité transgressive, figuratif et réaliste, qui se pose contre l’impérialisme économique et s’inscrit dans le même mouvement que le muralisme mexicain ou que, plus récemment, l’art mural des Chicanos aux Etats-Unis. Il s’agit ainsi, pour lui, d’exprimer par l’image, par la transgression de l’espace artistique, ce métissage si propre au Brésil et qui s’inscrit de plein fouet dans un monde postcolonial et globalisé. Refus de tout héritage culturel unique, et refus de la condition des marginalisés : le pseudonyme « Nunca » signifie d’ailleurs « jamais » en portugais. Il dit ainsi : « Quand je sors pour peindre dans la rue, mon objectif est de peindre les gens qui y vivent. Je peins pour eux. Mes peintures restituent le métissage brésilien. Qui n’est pas métisse au Brésil ? En ce qui me concerne, je suis incapable de dire si je suis noir, blanc ou indien. (…) J’essaie de traiter de thèmes qui me sont chers tels que ceux de la culture indigène, de l’effort à faire pour vivre dans une ville comme São Paulo, de la contrefaçon des marques, de l’exportation à bon compte des fruits brésiliens. La préoccupation principale de mes créations est de susciter le questionnement sur la façon dont la culture traditionnelle se mélange, se maintient ou se perd dans la globalisation ».

Corrupção

Mesmo corroído
pela corrupção
irrompe
a cor da flor
e o não

Poème: Régis Bonvicino.

Pichação: Nunca.

Un nouvel exemple d’hybridation, des médiums et des artistes : poème de Régis Bonvicino (l’un des grands poètes brésiliens contemporains, ami de Nunca) mis en espace et en images par Nunca, mêlant tradition du tag et tradition de la poésie concrète et visuelle brésilienne.