L’illustrateur américain Andrew DeGraff – passionné de longue date de bandes dessinées et de super-héros né « lors des derniers [temps] du disco », précise-t-il sur son site – nous plonge dans un univers actuel, personnel et joliment coloré. Andrew DeGraff illustre des articles dans de nombreux magazines et travaille également sur des projets plus personnels, notamment sa série de « Movie Maps ». Des travaux qui valent le coup d’œil.

Andrew DeGraff, portrait
Andrew DeGraff, portrait © James Tischler

B!B!: Quel est votre parcours artistique?
Andrew DeGraff: Il est assez typique. J’ai grandi dans une région rurale de l’État de New York, proche d’Albany (à environ trois heures de route au Nord de New York City). J’ai eu l’expérience qu’ont la plupart des enfants artistes – tu es un enfant qui peut dessiner, donc les gens veulent que tu dessines des choses pour eux. C’était un bon moyen de se faire des amis. J’étais vraiment attiré par les bandes dessinées et les livres d’anatomie, de science-fiction, de modèles et d’architecture. Mes parents m’ont toujours soutenu, et je crois qu’ils ont su avant moi ce que j’allais faire de ma vie. J’ai la chance d’avoir des artistes reconnus au sein de ma famille, il n’a dès lors pas semblé fou pour mes parents que je poursuive des études artistiques. J’ai commencé en étant un gentil étudiant au style réaliste, et l’ai été la plupart de mon temps au Pratt Institute de Brooklyn. Je pense que je voulais voir jusqu’où je pouvais pousser cet aspect réaliste. Je suis plutôt bon à ça, mais cela a cessé d’être amusant pour moi. J’ai ensuite voulu trouver mon style en travaillant plus sur un trait propre à mon travail et à la bande dessinée. À la fin de mes études, j’avais un portfolio tout à fait correct et j’avais remporté quelques prix. Mais je n’ai pas réussi à vendre mon travail durant ma première expérience de pigiste. J’ai donc passé quelques années à Chapel Hill, en Caroline du Nord, à vendre des tableaux dans de petits évènements, à retravailler mon portfolio et à bosser à plein temps dans un café avant de décider de revenir vivre à New York City et réellement débuter ma carrière d’illustrateur. J’étais beaucoup plus mature lors de ce deuxième essai, et bientôt j’ai pu être pigiste à temps plein et travailler également pour une galerie.

B!B!: Parlez-moi de votre technique.
Andrew DeGraff: Au cours de ces dernières années, j’ai travaillé exclusivement à la gouache. C’est un beau médium, me permettant de faire vraiment ce que j’aime. Je travaille sur papier, généralement teinté, ou du papier aquarelle que je teinte moi-même avec de l’aquarelle. J’ai besoin de pouvoir tout esquisser afin de me consacrer pleinement à un projet. Lorsque je travaille pour les magazines, dès que l’esquisse me semble assez bonne, je fais un transfert directement de la table lumineuse à mon papier. Je crée mes palettes au préalable sur Photoshop, généralement à partir d’une photographie ou d’une couleur de référence obtenue selon l’ambiance que je souhaite. Je mélange généralement un ensemble de cinq à douze couleurs assorties à la palette Photoshop que j’ai choisi. C’est tout ce que j’utilise pour une illustration. Je commence d’abord par peindre le fond du dessin avec une couche de peinture mince et opaque, puis je fais le travail du trait par dessus. En d’autres termes, ma technique est l’exact opposé de celle du livre de coloriage. J’aime la gouache pour sa capacité à être utilisée comme de l’encre opaque. C’est une peinture précise, beaucoup plus que l’acrylique, qui sèche rapidement et se scanne bien. La gouache peut également être retravaillée si elle est mouillée de nouveau.

Andrew DeGraff, Nailbiter on Custom Track Hunter
© Andrew DeGraff, Nailbiter on Custom Track Hunter, 2010, 23×30 cm, gouache sur papier
© Andrew DeGraff, Goin’ Fishin’, 2009, 23×28 cm, gouache sur papier
Andrew DeGraff, Playing Away
© Andrew DeGraff, Playing Away, 2009, gouache sur papier

B!B!: Quels sont vos influences et vos thèmes de prédilections?
Andrew DeGraff: Les bandes dessinées m’ont toujours beaucoup influencé. Je ne les lis pas autant que je les utilise, mais j’essaie de suivre régulièrement les choses sur les super-héros et autres trucs underground. « How to Draw Comics Marvel Way » de Stan Lee et John Buscema est aujourd’hui encore le meilleur livre de dessin que j’ai trouvé. La plupart de mes travaux sont principalement influencés par les estampes japonaises (Utagawa Hiroshige, Chikanobu Toyohara), les travaux de certains expressionnistes allemands (Otto Dix, Max Beckmann, George Grosz) et le mouvement « Mission School » dans les années 1990 et 2000 (Mitch McGee, Margaret Kilgallen). Je regarde également les travaux de Ben Shahn, Jack Kirby, Stuart Davis, Ernst Ludwig Kirchner, Mike Mignola, Kent Williams, Joan Miró ou encore Robert Crumb. Par ailleurs, j’ai toujours été intéressé par l’organisation, la géométrie et le motif, je pense que c’est pour cela que j’en suis venu à réellement aimer faire des choses architecturales. Les buildings sont juste des boites décorées et des rectangles facile à dessiner, couper et manipuler. Je trouve la répétition d’un motif visuel en peinture très épanouissant, comme par exemple une centaine de fenêtres sur un bâtiment, une centaine d’écailles sur un poisson ou une centaine de feuilles sur un arbre… Ce type d’hyperactivité me séduit vraiment.

Andrew DeGraff, Marvel Superheroes
© Andrew DeGraff, Marvel Superheroes, 2009, 28×41 cm, gouache sur papier
Andrew DeGraff, Marvel Supervillains
© Andrew DeGraff, Marvel Supervillains, 2009, 28×41 cm, gouache sur papier

B!B!: Vous créez des illustrations pour de nombreux magazines, êtes-vous totalement libre pour illustrer les sujets d’actualité?
Andrew DeGraff: Généralement, c’est un va-et-vient incessant avec le directeur artistique, mais c’est un procédé que j’aime vraiment. Je vois beaucoup de jolies choses artistiques sur Tumblr et autres sites, mais je pense qu’il y a une véritable beauté dans le fait de travailler pour un projet qui sera communiqué à un public de masse. J’apprécie vraiment le défi que propose l’illustration, il nous oblige à sortir de notre propre tête. C’est un bon exercice mental pour essayer de créer des images sur des sujets, comme les difficultés financières ou les soins de santé par exemple, sans être banal ou cliché. Cela peut parfois s’avérer très difficile.

B!B!: Tel un cartographe, vous avez réalisé une série d’illustrations retraçant le parcours de héros de cinéma sur des cartes très détaillées. D’où vous est venue cette idée? Êtes-vous cinéphile?
Andrew DeGraff: Je ne sais pas si je suis cinéphile, mais j’aime les bons films. C’est drôle, ces « Movie Maps » ont évolués suite à la création de cartes de voyage réalisées pour les guides de Puerto Rico, Milwaukee, The Hamptons… J’ai adoré les faire. Alors, quand j’ai commencé à travailler avec la Gallery1988 à Los Angeles, j’ai pensé que ce serait sympa de faire des trucs pop sans caricatures ni portraits. Je dois cette idée au générique d’ouverture emblématique de Saul Bass pour le film « La Mort aux Trousses» d’Alfred Hitchcock, avec son titre aux extrémités fléchées. Je commence par faire les bases et le trajet de tous les personnages principaux avec des flèches. Cela me permet par la suite de créer le reste de la carte – mon but étant de créer une version plus complète du film dans un seul tableau. Cela prend énormément de temps, c’en est parfois affolant, mais c’est très enrichissant.

Andrew DeGraff, Paths of Doom
© Andrew DeGraff, Paths of Doom (based on Indiana Jones and the Temple of Doom), 2012, 47×56 cm, gouache sur papier
Andrew DeGraff, Paths of Return
© Andrew DeGraff, Paths of Return (based on Return of the Jedi), 2012, 47×56 cm, gouache sur papier
Andrew DeGraff,  Paths of Amity
© Andrew DeGraff,  Paths of Amity (based on Jaws), 2014, 20×25 cm, gouache et encre sur papier
Andrew DeGraff, Paths of the Club
© Andrew DeGraff, Paths of the Club (based on The Breakfast Club), 2014, 20×25 cm, gouache et encre sur papier
Andrew DeGraff, Paths of Khan
© Andrew DeGraff, Paths of Khan (based on Star Trek II : The Wrath of Khan)
Andrew DeGraff, Paths of the Future
© Andrew DeGraff, Paths of the Future (based on Back to the Future), 2014, 41×51 cm, gouache sur papier
Andrew DeGraff, Paths of True Love
© Andrew DeGraff, Paths of True Love (based on The Princess Bride), 2014, 41×51 cm, gouache sur papier
Andrew DeGraff, Paths of the Ring
© Andrew DeGraff, Paths of the Ring (based on the Lord of the Rings Trilogy), 2014, 135×77 cm, gouache sur papier

B!B!: Donnez-moi votre vision du monde.
Andrew DeGraff: Toute chose est aussi importante qu’une autre, et le monde est vraiment beau lorsqu’il est pris du bon côté.
B!B!: Décrivez-moi votre journée type.
Andrew DeGraff: Je me lève souvent entre 7h et 10h, me fais un café, vérifie mes mails et me mets au travail. Je prends généralement une pause dans l’après-midi pour aller courir ou faire des courses à vélo. L’après-midi et le soir sont les moments où je travaille le plus. J’aime travailler jusqu’aux premières heures du matin – de 22h à 3 ou 4h du matin – puisque sans appels téléphoniques et sans distractions particulières, j’avance bien mon travail. Je dois probablement faire une nuit blanche tous les quinze jours. Quand on a un élan créatif, c’est agréable de simplement travailler jusqu’à ce que le corps n’en puisse plus.
B!B!: Quels sont vos futurs projets?
Andrew DeGraff: Je vais commencer à travailler sur un livre de cartes basées sur des œuvres littéraires célèbres et je vais également présenter de nouvelles « Movie Maps » dans un futur proche.
B!B!: Si vous pouviez vous réincarner…
Andrew DeGraff: Ce serait en hippopotame. J’aime manger et nager. Je ferai un bel hippopotame.
B!B!: Si vous étiez une œuvre d’art?
Andrew DeGraff: Je serais « Figures at Night Guided by the Phosphorescent Tracks of Snails » de Joan Miró.
B!B!: Un personnage historique?
Andrew DeGraff: Charles Darwin.
B!B!: Une chanson?
Andrew DeGraff: « The Glory of Love » d’Otis Redding.
B!B!: Si vous pouviez inviter dix personnes, décédées ou vivantes, à dîner, qui seraient-elles?
Andrew DeGraff: Jack Kirby, Willie Mays, Doris Kearns Goodwin, Ella Fitzgerald, Stanley Kubrick, Freddie Mercury, William Shatner, Cherry-Garrard Apsley, Roger Miller et Nina Simone.
B!B!: Et si je vous dis « Boum ! Bang ! »?
Andrew DeGraff: Je viens à peine de me pardonner d’avoir cassé un truc cher il y a peu. J’excelle dans l’art de casser des choses chères.

© Andrew DeGraff, Magic #2
© Andrew DeGraff, Magic #2, 2010, 56×56 cm, gouache sur papier
© Andrew DeGraff, Forget-me-not
© Andrew DeGraff, Forget-me-not, 2011, 20×25 cm, gouache sur papier