Des personnages mythologiques, littéraires ou iconographiques sont téléportés sur les murs de Naples, Paris ou Lorient. Des icônes oubliées et des héros déchus semblent trainer leurs guêtres sur le pavé ou caresser les murs du bout des doigts. La rue devient le décor de nos mémoires: c’est le travail de l’artiste rennais Zilda. Il mélange peinture, scénographie et photographie pour ressusciter et réinterpréter les figures de l’imaginaire collectif. Ces œuvres éphémères sont amenées à disparaître mais là où elles ont été, chacun se souviendra de ce qu’il avait oublié.
Plasticien autodidacte, Zilda travaille ses œuvres papier en atelier. Sa technique mêle pochoir, dessin, graphisme, gravure, estampe et peinture à l’huile ou à l’acrylique. Les lieux sont repérés au préalable et choisis comme support d’émergence d’une oeuvre, à travers la texture d’une surface ou l’ambiance d’un lieu. Le décor devient alors l’arrière plan de la composition qui vient s’intégrer, s’immerger et déborder sur les murs du monde. Puisque le papier, fragile et délicat sous les poings du temps et des intempéries, est amené à se détacher de son mur, Zilda immortalise in situ son installation, sur papier glacé ou sur pellicule, incluant une mise en scène ou des éléments extérieurs. L’oeuvre prend alors toute sa signification dans cet instant unique.
Zilda ne revendique qu’une seule référence dans le domaine de l’art de rue: Ernest Pignon Ernest. Néanmoins, là où le père du street art déploie ses petits chef d’oeuvre à l’air libre, Zilda incorpore invariablement dans son travail des effets de mise en scène, des objets contemporains ou des éléments humoristiques et «entre mise en situation et mise en abyme, l’oeuvre se nourrit dès lors du nouveau regard que chacun porte sur l’espace.»
La première série de collages de Zilda, «A même le temps», représente d’émouvantes femmes nues cachant leurs visages bouleversés au détour d’une cage d’escalier ou d’une usine aussi abandonnées qu’elles.
Zilda a ensuite élaboré les portraits d’anonymes emblématiques de Rennes intitulés «Je suis un éphémère». Selon Zilda, «parler d’une ville, ce n’est pas toujours parler de ses places et de ses monuments… Parler d’une ville, c’est parler de ceux qui font cette ville.»
Il a aussi, en hommage à Louis Ferdinand Céline qui vécu 6 ans à Rennes, hissé sur la place des Lices un fugitif portrait de l’indéfendable et génial écrivain de «Voyage au bout de la nuit».
En 2008, c’est sur les murs de Rome que prennent place les personnages marginaux et prolétaires du cinéma italien des années 50 et 60 avec comme figure de proue, Pier Paolo Pasolini. La série s’intitule «Io sono una forza del passato» et questionne l’Italie Berlusconienne sur l’avenir des laissés-pour-compte dans une société liberticide vouée au culte du bling-bling.
Zilda s’est par la suite intéressé au mythe d’Icare, symbole de la chute, de la faillibilité humaine à travers la série «Liber Casus». Ces peintures réalisées sur papier journal reproduisent l’effet du burin et s’inspirent du travail sur la chute des corps de Hendrick Goltzius. Les Icares de Zilda tombent des ciels de Rennes, Paris et Belgrade, éternellement amoureux de leur rêves d’envol.
Zilda poursuit actuellement le travail commencé sur l’iconographie classique, «Fragiles Fabulae ». De la tragédie grecque aux légendes celtiques, de la Bible à la mythologie latine aux faits divers des journaux du XIXème siècle, il réintroduit dans un décor urbain des peintures et des gravures oubliées. Les installations viennent se frotter au monde contemporain, conjugaison romantique autant qu’insolite d’un passé-présent à fleur de mur.
Zilda est l’initiateur depuis juin 2011 du projet collectif Palimpseste. Il s’agit d’une façade rennaise qui est mise à disposition d’artistes de rue français et étrangers, véritable lieu d’exposition permanent à ciel ouvert:
« Ici, pas question de soupeser le valeur boursière des artistes, de commenter leurs cotes, de vanter une culture boumkeurisée, digérée par les musées, surprotégée, momifiée, desséchée, abandonnée aux spéculateurs professionnels du marché de l’art, vautrée dans un confort microcosmique.. Ici, nous affirmons un cri politique, un lien direct avec nos contemporains, tous impliqués dans la nécessité d’envisager et de s’approprier nos espaces urbains.
Nous sommes rennais, brestois, berlinois, parisiens, romains, turinois, chicagoens, mulhousiens… , nous aimons quand les murs parlent, quand ils racontent une histoire, une histoire qui s’écrit dans le temps et qui s’imprime dans la mémoire: ‘Schéhérazades du street art’, nous savons bien que les histoires protègent de l’ennui et de l’oubli. »
Zilda, artiste attaché à la mémoire collective des oeuvres du passé et engagé à la diffusion des oeuvres à venir.