De par son ambiance intime et conviviale, la galerie L’atelier de Roger, nichée entre Montmartre et Barbès, est propice à la découverte de l’univers artistique d’Yves Murangwa, dessinateur et peintre né en 1986 à Kinshasa (République démocratique du Congo) qui vit et travaille actuellement entre Paris, Bruxelles et Barcelone. L’artiste dit lui-même: « Pour me comprendre, prenez un peu de rhum, une cigarette et enlevez vos chaussettes ». Mettons-nous à l’aise et laissons-nous imprégner dans les volutes de tabac d’un univers jusque-là méconnu. Mais là où l’intention semble innocente, on ne sait ce que nous réserve la suite tant le monde de l’inconscient est indéfinissable…
Les dessins de la foisonnante série « Ink on paper » qui impressionnent pour la technicité précise, soignée et détaillée nous dépeignent des images de l’inconscience de l’artiste. Ils semblent traduire le monde peu rationnel des désirs, des rêves ou même des cauchemars. Ils transfigurent ce que l’artiste appréhende du monde (qu’il soit visible ou invisible) pour former des symboles, des énigmes visuelles, des allégories à l’esthétique riche et surréaliste. Les schémas habituels de représentation sont alors bouleversés, les apparences sont modifiées pour apprécier une réalité fragmentée que le rêve a sublimée. La réalité, qu’on conçoit toujours subjectivement, est de fait conçue par morceaux. Notre soi la déforme sans cesse: le film « 71 Fragments d’une chronologie du hasard » de Michael Haneke a tenté de reproduire avec fidélité cette fragmentation de la réalité au cinéma (ce qui est justement rare dans cette forme d’art). Nous n’avons jamais accès à un point de vue total et omniscient, il est donc tout à fait subjectif de parler d’un sens de la réalité. De ce voyage dans l’inconscient qui marque ses dessins, Yves Murangwa nous dévoile sa part du monde, les fragments de sa perception tout en nous abreuvant d’images à faire rêver. Ce voyage, qui nous laisse parfois dans des imprévus, défait les certitudes et introduit une continuité des choses qu’on a l’habitude de compartimenter: ce qui ne semblait pas pouvoir interagir forme une nouvelle essence. La logique de ce voyage n’est pas à raisonner, elle est à sentir dans une imbrication complexe des puissances sensorielles. Le sens se donne à sentir. Et non pas à maîtriser.
« Le surréalisme, c’est la volonté de descendre en soi. C’était en réalité l’authenticité et la sincérité » dit le poète martiniquais Aimé Césaire qui entretint une relation artistique forte avec André Breton, le fondateur du mouvement surréaliste français. On a jadis conceptualisé le mouvement mais par son ambition de côtoyer les confins de l’inconscient et du rêve, le surréalisme épouse les pulsions de l’acte et de la création artistique en général, et n’appartient donc pas seulement à un espace ou à une période définie et finie (autrement dit celle du début du 20ème siècle pour le surréalisme en France). Les dessins « Ink on paper » d’Yves Murangwa ont une familiarité avec le surréalisme. Ils disposent de leur propre cohérence et de ce fait, d’une vérité qui peut nous échapper. Ils matérialisent des pensées symboliques en images, se fait alors une articulation entre le visible qui cache et l’invisible qui dévoile comme lorsqu’on rêve. Ceci s’accompagne d’un mystère produit par l’esprit de l’artiste (et donc aussi par son corps) qui ouvre aussi à la méconnaissance car le sens qu’on veut souvent acquérir n’est quelque fois pas possible à concevoir, même si on ne renonce jamais à ne pas le faire. Ce mystère réside, entre autres, dans l’espace-temps indéfinissable, comme suspendu, entre deux mondes. La pipe, élément récurrent, embrasse dans ses volutes de fumée des apparitions, des visages dont les yeux vitreux attestent d’une insondable éloquence et d’une introspection qui brouille les repères.