Nom : Yvan Hydar
Profession : artiste plasticien, explorateur graphique.
Ville : Nantes.
Études : design graphique, typographie, sérigraphie à Nantes et Bruxelles.
Style : indéfini.
Médiums : design graphique, photo, performance, dessin, collages, monographies, gravures, affichage urbain, projets participatifs.
Mots-clés : partage, convivialité, liberté, nature, papier, écologie, pollution, mondialisation, argent, smic.
Résumé : Voyage initiatique généreux. Visuels abstraits et/ou expérimentaux invitant à interpréter ou participer.
Par sa démarche, Yvan Hydar se place en marge du microcosme et des attendus de l’art contemporain. Le suivre, c’est l’observer grandir à sa manière et partager ses trouvailles avec une sincérité vivifiante. C’est découvrir sans se lasser une œuvre qui évolue dans son environnement tout en se jouant royalement des conventions. C’est attendre avec impatience la suite d’une grande chasse aux trésors, dont l’initiateur ne connaît pas lui-même l’issue.
Difficile à décrire, l’originalité d’Yvan Hydar se situe dans son regard plus que dans le sujet de ses œuvres. C’est l’innocence et la franchise avec laquelle il nous propose d’embarquer qui en fait sa curiosité. L’artiste semble se libérer de tout héritage, de toutes contraintes extérieures. Il explore avec désinvolture et passion des terres parfois déjà empruntées, en y apportant un regard neuf, et vivant. Le ton employé sur son site web ou sur les réseaux sociaux, les collaborations qu’il noue avec les milieux alternatifs et militants, sa façon de se présenter – sans intérêt apparent pour le prestige d’un nom d’école ou de galerie – laissent percevoir un artiste entier dont les choix se passent de détours et d’ambiguïtés. Les titres de ses œuvres, en anglais, peuvent laisser entendre quelques efforts marketing mais on s’aperçoit rapidement qu’il ne s’agit pas d’une priorité.
La série One Graphic per day illustre parfaitement le processus initiatique d’’Yvan Hydar :
« Faire une activité au quotidien, c’est bon pour l’esprit et le corps ; repos les week-end et vacances. One graphic per day est un espace de liberté. Un visuel par jour suivant l’envie du matin. Édition d’un livre sur la période de mars 2016 à mars 2018. »
La première partie du texte, presque naïve, laisse entrevoir un artiste qui joue très sérieusement à des jeux sans issues prédéfinies, associant la liberté de l’activité à l’astreinte de sa régularité. Le ton affirmé va à l’essentiel, et refroidirait les plus indécis·es.
« Cette démarche me permet d’expérimenter des techniques, styles, matières… Elle sert de laboratoire, crash-test. Certains visuels se transforment en séries, en livre. »
« Je travaille beaucoup sur l’expérimentation, je produis beaucoup de visuels et j’en sélectionne certains qui me plaisent plus que d’autres. De là, je développe le processus créatif que j’ai mis en place pour le premier sur les autres. Je ne fais pas forcément toute la série d’un coup. Je dessine les formes à la main et ensuite je colorise à l’informatique.»
Cette démarche, entre la contrainte auto-imposée et la carte blanche, fait appel à des mouvements très différents : de l’écriture automatique qui donne l’opportunité à l’inconscient de s’exprimer (entre art et psychologie voir ésotérisme, autrefois développée par le surréaliste André Breton dans Les champs magnétiques) à l’Ou-X-Po et sa branche dédiée aux arts visuels, l’Oupeinpo (Ouvroire de peinture potentielle) qui invente des contraintes pour libérer le travail de l’artiste. Charles Baudelaire dans Lettre à Armand Fraisse (1860) disait ainsi : « parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense ».
Sans fioritures, l’artiste est en constante interaction avec le monde et les visiteurs·euses volontaires ou involontaires de ses expositions. C’est ainsi que l’un des visuels de One graphic per day, justement décliné en série, nous invite à faire notre propre test de Rorschach, sans que nous perturbe les titres tout aussi abstraits choisis par l’artiste (Rainbow cavern, Cavern III, Yellow wave). Pour « laisser le lecteur faire son propre chemin, lui donner la possibilité de traverser ce livre comme bon lui semble par les couleurs et les formes de son imagination. Lui laisser faire sa propre histoire. » – Évidemment.
Leur design graphique presque géologique, tel des couches de sédiments colorés, rappelle la présence très forte de la nature dans l’œuvre d’Yvan Hydar. Les noms de ses séries en témoignent : Feu, Loire, Au naturel, Falaises, Ressac, Sédiments, Regarder passer le paysage, et même sérendipité… Un hommage naturel très cohérent avec le ton brut et la personnalité entière de l’œuvre, qui se passe de superficialité.
On le trouve par ailleurs proposer sur Facebook : « J’ai envie de démarrer une nouvelle chose, vous envoyer des cartes postales. L’idée c’est de vous en envoyer de temps en temps sans idée de fréquence, au gré de ce que j’ai photographié et qui m’inspire. Dites-moi si ça vous plait si je continue. »
Empruntant ainsi à l’art postal ou au Mail art dans sa version plus subversive, Yvan Hydar actualise le procédé utilisé auparavant par les mouvements Futuriste, Dada, Bauhaus, Surréaliste(1), Fluxus… Procédé qui se sert de la poste pour faire transiter l’œuvre, fait appel à une liberté d’expression illimitée et à un support détourné et presque insaisissable. Un bel écho également au travail d’Eléonore Pano-Zavaroni et à ses lettres envoyées par de vrais-faux inconnus aux visiteur·se·s de l’exposition Rendez-vous lors de la Biennale de Lyon 2017.
Toujours en référence à la nature et sa liberté, Yvan Hydar propose comme en miroir, des « espaces de respiration » dans la ville : de ceux dont la liberté est autorisée mais délimitée (espaces « d’affichage libre » sur la crise du lait) à ceux dont la liberté est infinie mais risquée (affichage « sauvage » avec Carte de Voyage). Dans Carte de voyage justement, Yvan Hydar nous explique sa démarche, avec ce ton laconique qui pourrait tout aussi bien être celui d’une liste de course ou d’un exercice mathématique : « Exposer des photos de voyage. Tout comme dans une exposition de photographies, elles sont encadrées et accrochées. Il s’agit de montrer un lieu (A) dans une ville (B). Faire voyager le passant une seconde fois. Ex : vous vous retrouverez dans une ville portugaise à Nantes. À ce jour 43 points. » Et de conclure avec innocence sur les déboires prévisibles d’une liberté artistique souvent incomprise du très prosaïque ordre étatique : « J’ai malheureusement des problèmes avec la voirie qui ne voit pas du même œil que moi cette action ou démarche artistique et qui retire parfois les photos. »
L’Affichage public. Des affiches politiques de mai 68 aux panneaux publicitaires, des Affichages sauvages(2) de Daniel Buren en 1969 aux photographies de François Kollar commandées par le musée Nicéphore-Niépce et exposées sur les murs de Chalon-sur-Saône en mai 2010 (3), de l’interdit à l’officiel, du militant au commercial, les utilisations sont nombreuses et les murs un terrain de jeu de plus en plus encadré pour les artistes.
Jouant ici avec la légalité, l’artiste nantais réaffirme la distinction intéressante qu’il fait entre son refus des contraintes extérieures, et son acceptation des contraintes internes, qu’il est seul à s’imposer (comme dans One graphic per day). Ici, la démarche d’ Yvan Hydar permet de façon poétique et politique, de continuer de questionner l’espace public et la rue, comme lieux d’expression et de démocratisation de l’art. Les photos exposées, illustrant une autre ville ou un autre pays, permettant ainsi le voyage à n’importe qui prendrait le temps de s’arrêter. Car la liberté nécessite une démarche active, voire des efforts et sacrifices, et sa forme dépend de ceux que nous sommes prêts à faire, individuellement et collectivement. En questionnant la contrainte, son commanditaire et sa légitimité, Yvan Hydar interroge les conditions de la liberté, et ouvre de larges voies à la pensée.
(1) Doc
(2) Catalogue