Walton Ford est un peintre américain né dans l’état de New-York en 1960. Ses aquarelles minutieuses semblent s’inscrire dans la tradition naturaliste et paraissent avoir pour seul sujet le monde animalier. Mais ces félins rugissants, ces singes facétieux et toutes ces autres bêtes représentées grandeur nature, sont un prétexte permettant à Walton Ford de nous interroger sur un autre type d’animal: l’homme.
En voyant les peintures de Ford, vous penserez immédiatement aux gravures anciennes, celles du peintre John James Audubon et d’autres artistes naturalistes de la période coloniale. Vous penserez peut-être également aux leçons de choses présentées sur des planches en carton et décorant parfois les salles de nos écoles primaires. Mais, rapidement, vous comprendrez que l’objectif de Ford n’est pas de dessiner ces animaux de face, puis de profil et de les ranger sagement dans un ouvrage de zoologie exotique pour ensuite nous les faire découvrir.
À gauche, Phoenicopterus Ruber, the Greater Flamingo, 1927 – 1938, gravure de John James Audubon tirée de son ouvrage « The Birds of America », à droite, Walton Ford, American Flamingo, 1992 ©
Les premières secondes passées devant la toile vous serviront à observer la finesse du trait, le réalisme des plumages et des pelages, à appréhender la texture du papier, à tenter de la dater tant elle semble parfois authentique. Vous vous interrogerez sûrement sur le temps nécessaire à l’artiste pour réaliser ce travail de titan et sur le procédé qu’il suit pour donner vie à ses incroyables reconstitutions mesurant parfois plus de 3 mètres de long.
Puis, après avoir scruté de plus près l’une les créatures de sa ménagerie, vous tomberez sur un os: un indice visuel, un élément dissonant ou un petit détail lourd de sens. Celui-ci vous mettra la puce à l’oreille et vous fera basculer dans le véritable écosystème de l’artiste: un ensemble d’œuvres faisant l’inventaire d’épisodes peu glorieux des conquêtes de nos ancêtres ou mettant en scène des animaux devenus fous dans des scènes cruelles où pullulent les métaphores.
© Walton Ford, Nila, 2000
© Walton Ford
© Walton Ford
© Walton Ford
Zèbre poignardé, bison agonisant, pingouins brûlés vifs… La liste de nos crimes contre le règne animal s’allonge et nous désigne comme le prédateur suprême. Petit à petit, s’installe une désagréable impression, celle de n’avoir tiré aucune leçon des agissements de nos aïeux. Pire encore, le sentiment de pouvoir remplacer ces animaux peints par des humains, tant ceux-ci sont humanisés et tant notre espèce est capable de cruauté envers elle-même.
Des textes manuscrits égrainés sur chaque tableau vous serviront également de légende pour mieux décrypter les toiles de Ford. L’artiste a en effet dans son atelier des montagnes de livres et de gravures dans lesquelles il puise le début de ses histoires. Qu’il s’agisse de récits de voyages écrits par Hemingway ou de contes et légendes populaires, tous servent d’appui au peintre qui les illustre au pied de la lettre ou en fait une interprétation plus personnelle.
@ Walton Ford, Thurneysser’s Demon, 2008© Walton Ford
© Walton Ford, Bula Matari, 1998
© Walton Ford
Une fois cette grille de lecture installée dans votre esprit, vous serez prêt et plus armé pour affronter ces trompe-l’œil et déjouer ces pièges visuels. Vous ne vous laisserez plus éblouir par ses couleurs vives et discernerez le sadisme qui se cache derrière la parfaite exécution de ces portraits d’animaux. Vous attribuerez des rôles à ces comédiens à poils ou à plumes et comprendrez, par exemple, plus rapidement la signification de la présence de tous ces oiseaux européens autour de majestueux animaux symboles des continents asiatique et africain pillés par les colons. Vous lirez dans ses toiles les récits qu’il y raconte sans vous arrêter à vos premières impressions.
Et même si de nombreux mystères survivent, vous porterez un regard différent sur les toiles de ce Jean de la Fontaine moderne, utilisant ces « animaux-marionnettes » pour mieux vous confronter à votre vraie nature sauvage.
© Walton Ford
© Walton Ford
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© Walton Ford
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© Walton Ford
© Walton Ford
Walton Ford est représenté par la Galerie new-yorkaise Paul Kasmin. Peu ou pas exposé en France, la dernière grande rétrospective à lui avoir été consacrée en Europe était baptisée « Walton Ford: Bestarium ». Elle s’est déroulée en 2010 à la Hamburger Bahnhof de Berlin et en 2011 au Musée de l’Albertina de Vienne. Un catalogue intitulé « Pancha Tantra » avait été édité pour l’occasion chez Taschen. Enfin, si le travail de Walton Ford vous interpelle, nous vous invitons également à découvrir celui de Martin Wittfooth similaire dans ses sujets, mais usant d’un style plus proche de celui des grands maîtres de la peinture classique.