« Si j’arrivais à savoir ce qu’était le rire, je saurais tout, j’aurais résolu le problème des philosophies. Il me semblait que résoudre le problème du rire et résoudre le problème philosophique était évidemment la même chose. L’objet que je saisissais en riant, si vous voulez, me paraissait d’un intérêt comparable à l’objet que la philosophie se pose la plupart du temps. » Georges Bataille
A la célèbre devise du premier Ludwig Wittgenstein qui proclame, d’une manière sans doute trop stricte, « ce dont on ne peut parler, il faut le taire », l’oeuvre de Thomas Rimoux semble vouloir opposer, en riant, cette autre formule, du deuxième Wittgenstein: « ce qu’il faut taire, voilà ce dont nous devons nous efforcer de décrire les glissements de sens et, cela, envers et contre – justement – l’impossibilité apparente qui nous en empêche ». Car ce n’est qu’à partir du moment où les divers jeux de langages grâce auxquels nous donnons sens au monde (le jeux de langage de l’amour, celui de la science, celui de l’économie, etc.) cessent de faire l’objet de traitements séparés pour se fondre, à l’inverse, en une oeuvre capable de faire tenir ensemble leurs contradictions, que l’art, en retour, peut devenir l’instrument d’une oeuvre joueuse, c’est-à-dire, l’instrument à partir duquel, comme nous le rappellent sans cesse les ambiguïtés qui grèvent les oeuvres de Thomas Rimoux, la vie humaine s’ouvre enfin à ses paradoxes, tout en parvenant à s’en jouer.
Des contradictions qui hantent la vie des hommes en société, faisons un jeu! Tel pourrait être, donc, – à bien y prêter l’oreille – l’invitation que nous lancent, sous l’ombre accueillante de quelques grands palmiers hollywoodiens (ou bien seraient-ce de vrais palmiers ?) les singes à face d’homme (ou bien seraient-ce des hommes d’affaire rendus furieux?) qui peuplent les oeuvres de cet artiste autodidacte. Basant ses créations sur ce qu’il appelle des « clichés sociétaux », l’intention de Rimoux n’est jamais, en effet, de « critiquer » ces clichés (comme pourrait le faire un artiste strictement conceptuel par exemple), mais, à proprement parler, de les rendre glissants… c’est-à-dire, de les faire communiquer entre elles. C’est ainsi, par exemple, que dans sa série de photographies présentant des palmiers (le palmier étant le symbole par excellence du paradis), Thomas Rimoux s’est efforcé d’y faire transparaître l’image d’un immeuble aux murs gris ne manquant pas de rappeler à ses spectateur que sous l’idée de palmier ne se tient nulle plage, mais l’espace aseptisé du monde de l’entreprise.
Ou bien, encore, dans sa série de peintures représentant des hommes d’affaires ou des hommes politiques, Thomas Rimoux s’est tantôt amusé à les représenter en train de se battre comme pourraient le faire des singes ou des loups (même si les singes ou les loups ont tendance à moins se battre que les hommes), et tantôt à leur effacer le sommet du corps comme pour mieux nous indiquer la précarité de la forme humaine en générale. Autrement dit, le but que semble s’être fixé Thomas Rimoux à travers toute son oeuvre pourrait être comparé, dans sa structure, au but que s’assignent les enfants quand ils rejouent, sur un mode ludique, les codes qui gouvernent la vie des adultes. Car à travers leurs jeux, le but des enfants n’est jamais tant d’échapper en le jugeant, au monde qu’ils imitent, que d’en devenir, l’espace d’un instant suspendu, les maîtres rieurs.