Un entretien Boum! Bang!
Dans l’exposition « Endgame » qui avait lieu au printemps 2013 à la Galerie ALB Anouk Le Bourdiec, nous découvrions les dessins gigantesques réalisés au stylo Bic par THE KID. Rencontrer un personnage de THE KID, c’est se confronter à l’insolence d’un regard, regarder dans les yeux l’un de ceux qu’on a sortis du jeu. C’est à la fois se faire tordre le cœur par la cruauté d’un hyperréalisme brutal, et pressentir une violence impalpable… Les portraits sont ceux de jeunes hommes désabusés aux corps couverts de tatouages des gangs criminels auxquels ils appartiennent. Mais ces garçons ont aussi des gueules d’amour, et suscitaient alors pendant l’exposition une gêne similaire à celle soulevée quelques mois plus tard par la Une du magazine Rolling Stone avec le terroriste de Boston. En faisant coïncider une beauté séduisante avec le mal criminel, THE KID percute les consciences manichéennes. Dans « Endgame », ce tout jeune artiste révèle les visages d’anonymes qu’il est allé chercher dans les bas-fonds sordides de la société américaine, afin de dénoncer l’insoutenable déterminisme social communément admis. À ces dessins s’ajoutaient deux sculptures humaines hyperréalistes glaçant le sang, à la limite du supportable, poussant le propos dans l’absolu. Comme un enfant qui pose une question gênante, THE KID nous demande comment accepter une société régulée par une partie de dés.
B!B!: D’où est venue l’idée du sujet pour l’exposition « Endgame »?
THE KID: Il y a plusieurs événements personnels mais aussi historiques qui peuvent être reliés au thème de cette exposition. J’ai été en particulier très marqué par ce que j’ai vécu enfant à l’école, où j’étais persécuté non seulement par d’autres enfants mais plus encore par certains professeurs parce que je ne rentrais pas dans leurs cases préconçues, alors que leur rôle aurait justement dû être de me protéger et de m’aider à m’épanouir en valorisant mes différences. On m’a fait vivre des choses traumatisantes et j’ai dû changer d’école trois fois, jusqu’au jour où j’ai terminé à l’hôpital. C’est exactement à ce moment-là qu’est intervenu le massacre de Colombine. Et en fait, pour moi, il y avait dans cet acte quelque chose de si compréhensible, à quoi je pouvais m’identifier. D’autant qu’à cet âge là, ton univers se limite souvent à celui de ton école et on ne peut pas encore imaginer qu’il y a un monde au delà… J’ai compris pourquoi ces deux garçons avaient fait cela parce que j’aurais voulu faire la même chose. Donc je ne les ai pas jugés, je ne pouvais pas les considérer comme des monstres, je les voyais plus comme des victimes d’un contexte social. Tout le monde a dénoncé le caractère horrible de leurs crimes mais personne n’a voulu voir le désespoir social qui les a poussés jusque là. Or si tu creuses, tu découvres qu’ils étaient persécutés et personne n’avait jamais pris le temps de les comprendre. Ça, c’est l’origine de la sculpture que j’ai faite me représentant moi-même dans la position du tueur de Colombine à genoux sur le point de se tirer une balle dans la bouche, mais semblant de dos être en train de prier Dieu les yeux levés vers le ciel, un double sens qui montre à la fois leur violence mais aussi leur désespoir. Cette sculpture s’appelle « Do you believe in God? », parce que c’est la question que posaient les tueurs de Colombine à leurs victimes avant de leur tirer dessus…
B!B!: Qui sont les personnes que tu as dessinées?
THE KID: Tous les sujets de mes dessins pour cette exposition « endgame » existent véritablement et sont en ce moment-même détenus en prison aux États-Unis, exactement avec ces tatouages, ils ne sont pas imaginaires et aucun détail n’est gratuit. Ils sont tous condamnés à perpétuité sans possibilité de remise de peine, jusqu’à ce qu’ils meurent en prison. Aucun autre espoir pour eux qu’une vie en prison pour adultes dès le début de leur peine, c’est tout. Et ce alors même qu’ils ont été condamnés pour des crimes de sang qu’ils ont commis avant l’âge de 18 ans, parfois même avant 14 ans, et le plus souvent contre des adultes dont ils étaient eux-mêmes les victimes. J’ai choisi ces jeunes pour leurs histoires individuelles, en faisant un gros travail préliminaire de recherches. Aux États-Unis, la plupart des fichiers d’affaires criminelles sont en libre accès sur internet et on peut entrer en correspondance individuelle avec chacun d’entre eux s’ils l’acceptent.
B!B!: Quelles sont les idées que tu veux mettre en avant?
THE KID: J’aurais pu aussi appeler l’exposition « When I’ll die, they’ll send me home » (« quand je mourrai, ils me renverront chez moi », NDLR), parce que le seul moyen pour ces jeunes prisonniers de rentrer un jour chez eux sera de mourir. Même si les lois changent, à priori rien ne changera jamais pour ces jeunes qui ont commis des crimes à un âge où tu n’as pas encore terminé ton développement mental, et ils n’auront jamais le droit à une seconde chance. Bien entendu, ils ont fait des choses terribles et ont souvent tué quelqu’un, parfois même de leur propre famille. Mais en regardant de plus près leur passé, on découvre des histoires individuelles marquées par l’abandon, la violence et la haine. Ces enfants méritent-ils d’être détenus pour la vie en prison pour adultes dès ce jeune âge, n’ont-ils pas le droit au moins à des circonstances atténuantes et à une seconde chance compte tenu du milieu dans lequel ils sont nés et ont grandis et qui les a souvent indirectement conduits à commettre l’irréparable?
D’ailleurs, cette notion de déterminisme social, c’est précisément cela que j’ai voulu questionner avec la sculpture de ce bébé dans son incubateur. Il est à peine sorti du ventre de sa mère, pourtant son avenir est déjà déterminé par ses origines sociales comme le symbolisent les tatouages du gang des Mara Salvatrucha -un des plus dangereux des États-Unis et du monde- qu’il porte sur tout le corps, avec en plus cette question tatouée sur son ventre: « Too young to die? », (qui est aussi le titre de la sculpture, NDLR). Dans ce genre de gangs, arrivé à l’adolescence, tu dois faire tes preuves, tu n’as pas le choix, c’est le gang ou la mort. Lorsque tu as 14 ans, qu’est-ce que tu décides? Donc quel genre de vie ce bébé va avoir, comment la société pourra-t-elle le juger et le condamner dès son adolescence alors même qu’il n’aura jamais vraiment eu la possibilité de choisir son destin, que peut-on faire de mieux? Je l’ai mis dans un incubateur pour montrer qu’en poussant le raisonnement américain à l’extrême, à l’absurde, on pourrait aussi choisir de lui retirer la vie en le « débranchant » dès la naissance, tombant ainsi dans les pires théories de l’eugénisme, qui nous menace avec la manipulation génétique; ou bien qu’a contrario on pourrait plutôt choisir de l’aider, la couveuse symbolisant là tout l’espoir que je mets dans la société pour sauver ses propres enfants et non de les condamner d’avance.
B!B!: Est ce que le stylo Bic est nouveau pour toi?
THE KID: Oui, c’est la première fois que je fais un projet au stylo Bic, mais je ne possède pas de médium de prédilection. Pour moi c’est très important que le médium soit en rapport avec le sujet, qu’il fasse aussi sens par lui-même. La raison pour laquelle j’ai choisi le Bic pour « Endgame » c’est parce qu’en prison ces jeunes détenus mineurs n’ont aucun autre moyen à leur disposition que le stylo Bic pour faire les tatouages des gangs auxquels ils sont obligés d’appartenir pour survivre dans l’univers carcéral hyper violent. Et par cette signature dans leur chair ils cèlent le destin qui les conduira à leur perte alors même qu’ils cherchaient leur salut.
B!B!: Quelles ont été les réactions des gens en voyant ton travail?
THE KID: La plupart des gens ont été profondément bouleversés à la fois par la force du sujet et par l’hyperréalisme du traité, ils restaient même souvent figés devant, comme hypnotisés. Mais forcément il y a aussi eu des gens vraiment choqués et des réactions parfois très violentes. Du coup on a été obligés de construire un mur pour empêcher la vue depuis la rue et éviter le vandalisme. Mais c’est mon but de troubler, de provoquer, d’interroger, de mettre en abîme cette violence réflexive de la victime devenant bourreau pour finir victime d’elle-même, une violence bien réelle dans notre monde actuel. Et c’est d’autant plus important pour moi que des jeunes voient cela, parce que j’ai failli en arriver là moi-même… L’art esthétique purement décoratif, ou bien surprenant mais de manière gratuite ou encore conceptuel mais que personne ne comprend ne m’intéresse pas du tout. Mon travail doit signifier quelque chose pour les gens de manière immédiate, instantanée, même s’ils ne connaissent rien à l’art. Et surtout, il doit parler à ma génération, faire avancer les mentalités, générer une prise de conscience si ce n’est faire bouger les choses dans la société. Bref je ne fais pas des œuvres pour aller avec le papier peint ou la couleur du canapé. D’ailleurs, pour cette exposition, j’ai décidé de reverser une partie des bénéfices à l’ONG Humanity Rights Watch qui défend les Droits de l’Homme partout dans le monde et notamment ceux des prisonniers mineurs américains condamnés à perpétuité.
D’origines néerlandaise et brésilienne, THE KID s’est retrouvé très jeune seul « on the road » à travers l’Amérique et l’Europe avant de poser pour le moment son sac à Paris, où il est représenté par la Galerie ALB Anouk Le Bourdiec, une galiériste passionnée avec un œil manifeste pour les talents rebelles et bouleversants qui a déjà exposé THE KID plusieurs fois à la galerie, à Slick Art Fair Paris et présenté en focus au salon Drawing Now 2013. Dans les séries précédentes de THE KID, on pouvait voir d’immenses portraits hyperréalistes au fusain de jeunes victimes de l’histoire de la criminalité américaine. Des portraits dont la parfaite maîtrise du trait magnifiait l’innocente beauté de ces victimes, des portraits plus grands que nature cloutés au support au moyen de clous préalablement rouillés comme pour symboliser la crucifixion de ces victimes par leur bourreaux, des portraits qui interrogeaient eux aussi à leur manière la subtile frontière entre innocence et corruption, des portraits qui avaient en commun avec « Endgame » l’obsession de la fragilité, de la beauté et du drame. Après tout, comme THE KID aime à le rappeler en citant en anglais dans le texte l’un de ses auteurs préférés Oscar Wilde, dans « Le Portrait de Dorian Gray » : « Behind every exquisite thing that existed, there was something tragic » (« Derrière toute chose exquise, il y a quelque chose de tragique »).THE KID attachant beaucoup d’importance à tout réaliser lui même à la main dans le moindre détail, chaque pièce nécessite plusieurs mois de travail.
Des nouvelles oeuvres de son univers seront à découvrir durant la foire Art Paris Art Fair au Grand Palais en 2014.