Impossible de ne pas se faire de films lorsqu’on visionne une toile de Terry Rodgers, peintre réaliste américain né en 1947 dans le New Jersey. Terry Rodgers a en effet l’art et la manière de créer des scènes où se croisent les membres très peu vêtus d’une jet-set sexy et où copulent allègrement les questions sans réponse.
Lumière. Des femmes à demi-nues. Des hommes à moitié perdus. Un salon plein à craquer de convives pleins aux as. Stones, ivres, ils déambulent tels des zombies dans ce qui semble être la villa d’un milliardaire, perchée sur les collines d’Hollywood. Mais au fait, qui sont ces femmes et ces hommes? Des wannabe? Des bimbos? Des gigolos? Que recherchent-ils? Du plaisir? Un agent? Un rôle? Un nom? Parfois, entre deux corps, on croit reconnaître Paris Hilton ou Amanda Lepore. Mais sont-elles en version originale? Et s’il s’agit des vraies, que font-elles là?
Qui leur a demandé de passer? Un nouveau Hugh Hefner? Un producteur de blockbusters? Un gouverneur en manque de sensations fortes? Et qui est aux commandes? L’hôte serait-il parmi ses invités ou orchestre-t-il ce qui pourrait devenir une orgie depuis son bureau? Demande-t-il aux participants d’assouvir ses fantasmes devant ses caméras tels des esclaves? On pourrait être sur la bonne piste quand on observe de plus près l’air fantomatique de ces sex-toys humains. Parfois plus bêtes que bêtes de sexe, ils dégoûtent plus qu’ils ne donnent envie de les goûter.
© Terry Rodgers, The ABC s of Living, 2010.
© Terry Rodgers, The Artificial Boundaries of Illusion, 2009.
© Terry Rodgers, The Resonance of Ungrounded Reality, 2008.
On sent que ça sniffe, ça picole, ça défaillit, ça tourne de l’œil, ça dérape. Le tout, dans un décor qui réunit tous les indispensables de la maison close: kilos de fourrure, lustres clinquants, chérubins rococo, grands rideaux rouges. Et malgré ces conditions idéales et cette ambiance lourde, chargée en phéromones, la fin de soirée semble proche. Les convives ont l’air en effet lessivés et sur le point de partir. Mais peut-être n’est-ce que l’entracte ou même, le début d’une party de jambes en l’air géante.
Pour le savoir, les indices se font rares. Les cadrages sadiques de l’artiste dissimulent peut-être le sexe en hors-champs, ne nous laissant entrevoir que de l’érotisme. Les fenêtres sont cachées. Aucune notion d’heure ni de temps n’est présente. La nudité brouille les pistes puisqu’elle n’est pas partagée. Pourtant la guerre du sexe a l’air d’avoir eu lieu tant certains participants ressemblent à des soldats blessés dans les tranchés des champs de batailles. Alors, le désir est-il sur le point de naître? Ces hommes et ces femmes au regard fuyant ont-ils honte de ce qu’ils viennent de faire? Sont-ils timides? Peut-être est-ce simplement de la lassitude car comme on pourrait le croire, à Hollywood, la partouze n’a plus rien d’extraordinaire.
Mais au fait, qui couche avec qui? Des hommes avec des femmes? Des personnes du même sexe entre elles? Des robots entre eux? Le spectateur avec le sujet? Tout le monde avec tout le monde? De toutes les façons, cela n’a l’air d’avoir aucune importance, ni aucune incidence. Nos VIP du sexe dégustent le luxe et la luxure sous notre regard et dans la plus grande liberté.
© Terry Rodgers, The Calligraphy of Disproportionate Advantage, 2007.
© Terry Rodgers, Standing Watch, 2007.
© Terry Rodgers, The Sum of Human Knowledge, 2006.
© Terry Rodgers, Reinventing Paradise, 2005.
Ce mélange des genres et des goûts a vraiment quelque chose de difficile à avaler. Le voyeur qui réside en chacun de nous a envie d’en savoir plus et surtout d’en voir plus. Cela, Terry Rodgers ne l’autorise pas. Les seuls invités que vous pourrez reconnaître dans cette sauterie sont la sensualité et le mystère, toujours là, au fil des toiles, et qui donnent l’impression que cette soirée ne s’arrête jamais.
Et s’il est un groupe d’exclus, refoulé dès l’entrée des toiles, c’est bien la laideur, l’imperfection et la vieillesse, à tel point que tous les corps frôlant la perfection physique finissent par devenir identiques et interchangeables.
Mais quel est donc le but de Terry Rodgers? Prendre son pied en peignant? Nous faire prendre notre pied en zieutant ses toiles? Nous exciter? Nous dégoûter? Nous frustrer? En tous les cas, le club privé dans lequel il nous fait entrer est comme cela. Maintenant que vous avez répondu favorablement à l’invitation charnelle de Rodgers, essayez de répondre à toutes les questions qui vous viennent en tête. Vous ressortirez de ce guet-apens ivre de doutes, à poil en quelque sorte.
© Terry Rodgers, Just Like the Night, 2004.
© Terry Rodgers, Negotiating the Future, 2004.
© Terry Rodgers, Shades of Olympus, 2004.
© Terry Rodgers, The Gilt Edge, 2010.© Terry Rodgers, The Curve of Time, 2006.
© Terry Rodgers, The Variable Frequencies of Restraint, 2009.
Pour découvrir tous les autres travaux (lightboxes, vidéos, photographies, dessins…) de Terry Rodgers, rendez-vous sur son site. Un très beau texte « in french » de l’écrivaine Alina Reyes y est également disponible.