Boum!Bang! n’a pas la dent dure. Quand ses chroniqueurs n’aiment pas un artiste ou une exposition, ils ne vous en parlent pas, c’est aussi simple que ça. Boum!Bang! fonctionne plus au coup de cœur, au coup de pouce qu’au coup de gueule. Alors, pourquoi vous parler d’une exposition dont nous n’avons pas apprécié la visite et l’organisation? Parce que nous avons aimé son intention et ses œuvres. En effet, dans « Take Me (I’m yours) », évènement à découvrir à la Monnaie de Paris jusqu’au 8 novembre 2015, tout n’est pas à jeter. Mais contrairement à ce que son titre sous-entend, il n’y a pas grand chose à prendre.
Un concept séduisant sur le papier: réactiver une exposition dans laquelle les œuvres sont à emporter, vingt ans après sa création à la Serpentine Gallery de Londres. Un lieu: la Monnaie de Paris qui nous a étonné en octobre dernier en accueillant la fabrique un peu particulière de l’artiste un peu particulier Paul McCarthy (pour rappel, on y confectionnait notamment de gros sex-toys en chocolat). Aux commandes, le commissaire d’exposition, critique et historien de l’art Hans Ulrich Obrist, l’artiste Christian Boltanski et Chiara Parisi, directrice des programmes culturels de la Monnaie de Paris.
La quarantaine d’artistes conviés invitent le visiteur à participer à la vie des œuvres: leur création, leur évolution et leur dispersion en dehors du lieu d’exposition en proposant dans la plupart des cas d’en emporter un échantillon (gratuit, payant, à échanger ou à négocier). Et ce concept ouvert, où pour une fois le visiteur est impliqué, se décline de salle en salle, avec à la main un shopping bag créé pour l’occasion permettant de transporter tous vos petits trésors.
Première salle: des monticules d’habits sont mis à votre disposition par Christian Boltanski. L’image de ces empilements où chaque vêtement est une histoire, interpelle, donne envie de s’approcher et peut-être de fouiller. Les enfants se jettent directement dans les tissus, certains adultes font mine d’être un peu dégoûtés, puis commencent à fureter, d’autres y vont carrément comme sur un marché aux puces. Si l’œuvre n’a rien de spectaculaire, elle semble en complet décalage avec le décor classieux de la Monnaie. Le comportement des visiteurs est lui aussi un décalage. Ca fait du bien.
Les sculptures faites de posters ou le tapis de bonbons bleu ciel offerts par l’artiste Felix Gonzales-Torres font aussi leur petit effet. En prenant une partie d’elles, les œuvres se transforment et changent notre perception de ce que peut-être l’art, loin du tableau sagement encadré, inapprochable ou de la sculpture prisonnière de sa vitrine. Les pilules de Carsten Höller elles aussi surprennent. Un exemplaire tombe du plafond toutes les trois secondes créant un tapis instable, dangereux, symbole d’une population gavée de médicaments. Peut-on réellement les prendre? Qu’il y a t-il dedans? Que risque-t-on? Porté par cette énergie, par cette euphorie, par cette collectionnite, on se sent pousser des ailes… jusqu’à ce qu’arrive cette impression d’arriver trop tard devant un buffet où les convives ont déjà tout mangé.
Où sont passés les œufs de Kerstin Brätsch & Sarah Ortmeyer? Où sont les confettis de James Lee Byars? Les tours Eiffel de Hans-Peter Feldman ont déjà toutes disparu? Les badges de Gilbert et George et les cartes postales de Danh Vo aussi? Et ça continue. Les petites céramiques de la libanaise Simone Fattal ont déjà toutes trouvé preneurs. Dommage. Rattrapons-nous avec le jeu de pêche proposé par Daniel Spoerri. Canne à la main, penché au-dessus d’un gros baril rempli d’eau, vous essayerez 5 minutes de ramener quelque chose à la surface… et finirez par vous demander ce qui peut bien se trouver au fond: rien, enfin si, des boites de sardines. Mais ça, c’est le petit guide de l’expo, lui aussi en rupture de stock, qui vous le dira. L’artiste propose également une autre œuvre originale: un squelette en massepain que le public doit pouvoir goûter… où, quand, comment? Nous n’en avons pas eu une miette. Expérience invisible donc, comme le sont les DVD de Philippe Parreno décorant trop discrètement la billetterie ou la proposition de Wolgang Tillmans: un ordinateur pour graver sur CD ses catalogues et ses livres d’artistes. Faute de CD, on gravera surtout dans notre mémoire, l’impression qu’on se fout un peu de nous. Une impression que peuvent aussi provoquer les divans de Franz West, qui, eux, offrent du repos. Enfin quelque chose que vous pouvez concrètement ramener chez vous, merci.
Quelques vraies belles idées donc, une vraie expérience, celle de voir le visiteur comme jamais vous ne l’avez vu, ou comme jamais vous n’avez eu envie de le voir mais aussi beaucoup de vide et de déceptions dans cette exposition où il fait visiblement bon venir à l’ouverture, ou pas du tout. Et c’est sans compter sur l’œuvre qui clôture votre visite, le distributeur d’air de Yoko Ono, où de petites capsules vides viennent remplacer les boules de chewing-gum de notre enfance. Servez-vous, emportez-les, mais cela vous coûtera un peu (trop) de monnaie.