Étranges, irréelles, angoissantes et obscures à cause d’un magma pictural qui occupe tout ou une partie du tableau, les peintures de Stéphan Balleux questionnent le monde qui nous environne. Ses œuvres naissent du désir d’aller au delà d’une pratique picturale tout en ayant l’unique intérêt de la peinture. C’est à ses yeux le matériau mais surtout la discipline qui sont les plus susceptibles de démontrer les enjeux de toute expérimentation formelle. Il questionne l’image – vaste champ de recherches et d’explorations – pour en faire apparaître des réponses diverses et variées. La peinture est alors un laboratoire d’expériences sur la représentation de la peinture. « Mon projet est de travailler sur la peinture elle-même, et d’en faire émerger certaines qualités afin de les rendre « palpables » pour celui qui regarde. Je prends la peinture littéralement comme un être vivant et c’est cet aspect que je veux développer ». Face à certaines œuvres de l’artiste on se sent désemparé, perdu dans le doute par la taille et en particulier par ce magma épais et tortueux de peinture, magma qui n’excède pourtant pas l’épaisseur d’une photo.
Cette pâte picturale nommée « Blob », s’inspire d’un film de 1958 dans lequel joue Steve McQueen. Stéphan Balleux en fait l’emblème de sa pratique picturale. Presque obsessionnel cette peinture épaisse et sinueuse se rencontre tant recouvrant des visages qu’étant sujet du tableau à part entière. Ainsi dans sa série « The Apocrypha » ce magma de peinture, dans les teintes noires, grises et blanches, crée une atmosphère fantasmagorique et angoissante notamment avec des œuvres telles que « In my skin », « A portrait of Delicacy » ou encore « Chair girl ». Être entier, ce magma pictural englobe le peu d’humanité restante, se greffant sur la chair peinte et pénétrant le regard de celui qui essaie de comprendre. Ressemblant à des tissus musculaires humains ce « Blob » nous fait oublier ce qui l’entoure, nous oppressant par le doute qu’il fait naître quant à son origine, son sens mais surtout son rôle dans la peinture. Car c’est habituellement ce que chacun fait face à un tableau: il cherche à attribuer un rôle et plus particulièrement une signification aux éléments présents. On rationalise pour ne pas se laisser emporter dans les torpeurs sentimentales. Le contrôle prend justement le dessus sur les émotions qui s’entremêlent face à un tableau et plus généralement face à l’art. Ici Stéphan Balleux aime l’idée de voir ses spectateurs perdus dans le doute, en plein questionnement, sans trop savoir où ils vont. Ainsi dans « The Lesson » cette matière parait occuper une place centrale par la composition et par le titre, cependant on se rend vite compte que nos recherches de sens sont vaines. Cette abstraction de matière contraste très fortement avec les personnes représentées ce qui nous pousse dans le gouffre, sans abîme ou réponses, du doute.
Dans sa série « They shoot horses don’t they » on se demande si ce « Blob » est représentation de la peinture ou alors photo du matériau en lui même. Les tableaux « Paintingpainting #24 », « Paintingpainting #25 » et « Paintingpainting #26 » sont très colorés et détonnent avec le reste du travail de Stéphan Balleux. Forcés de regarder de près à cause de leurs plans rapprochés, la question de la représentation de la peinture ne se pose plus. On tombe dans l’illusion d’une photographie du matériau écrasé et mélangé, comme si l’on regardait la palette de l’artiste où se trouveraient ses essais et mélanges colorés. Ce magma pictural devient sujet à part entière et il est mis en mouvement par notre regard interrogateur quant à l’essence de cette peinture ou photo; on ne sait plus. Le reste de la série se compose de portraits réalistes où ce « Blob » domine plus ou moins les personnes, se mêlant à leur visage et s’ancrant sur leur corps. Ces humains aux contours vaporeux n’existent plus pour eux-mêmes, seul l’incongruité de cet amas pictural fait que nous nous intéressons à ces visages difformes et monstrueux. Rendu presque vivant, ce « Blob » qui n’est qu’une simple représentation d’un magma de peinture, nous effraie et nous dérange. Le sens même du portrait n’a plus lieu d’être puisque les visages sont cachés, effacés et presque engloutis sous cette chose sans nom. Seuls les titres permettent alors un début de compréhension quant à l’identité des sujets représentés.