Un entretien Boum!Bang!

Les dessins poétiques et délicats de Sophie Poppins offrent au spectateur une entrée sur sa vision du monde unique et délicate.

Déterminées par ses expériences, son séjour en Inde et un long voyage en bateau dans l’océan Pacifique, c’est à travers des métaphores que ses pensées se dessinent – on y voit par exemple une acceptation de la vie en tant que perpétuel changement. Le trait de crayon vif et le réalisme de Sophie Poppins attirent l’attention. On a alors envie de décortiquer chaque trait comme s’il s’agissait d’une planche d’anatomie.

L’artiste s’inspire à la fois de ses expériences et de mouvements artistiques variés allant du dadaïsme au travail des surréalistes. La retranscription d’émotions brutes se ressent aussi dans son travail. Lors de l’interview elle s’est révélée à la fois franche et enivrante par ses récits de vie.

Sophie Poppins, rhinocEros
Sophie Poppins, rhinocEros, crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©
Sophie Poppins, avoir ou être
Sophie Poppins, avoir ou être, crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©
Sophie Poppins, pierre feuille ciseaux
Sophie Poppins, pierre feuille ciseaux , crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©

B!B!: Tout d’abord, pourquoi Poppins?

Sophie: C’est un surnom qui m’a été donné lors d’un voyage en bateau: « Sophie Poppins » à cause de mon univers décalé je crois. J’ai décidé de le garder comme nom d’artiste, mon vrai nom ne me plaisant guère. Et j’avais envie de garder « Sophie » et non de m’inventer un nom qui ne serait pas du tout moi.

B!B!: Quelle est ta formation, qui t’a fait découvrir le dessin?

Sophie: Je suis « visual communication designer » de formation, un cursus d’art et de design que j’ai suivi dans une école en Inde. Je suis partie en Inde à 18 ans après le bac (j’en ai 29 aujourd’hui), pour y faire une année et demie de volontariat dans des orphelinats, à travailler auprès d’enfants des rues, d’enfants handicapés et d’adultes schizophrènes. Ils m’ont beaucoup apporté et j’ai intégré leur culture petit à petit. Ces gens n’ont pas tant besoin de nous, ce sont nous occidentaux qui voulons leur créer des besoins. Ils vivent simplement et n’en sont pas plus malheureux.

J’ai découvert mon école en Inde, j’y suis restée. En parallèle de mes études j’assistais mon ami qui était photographe de mode. Il m’a appris l’art de la narration par l’image. Nous avons petit à petit travaillé ensemble sur la DA de photo shoots. J’aime l’idée de retranscrire un univers et une narration par l’image. J’aime l’écriture aussi, ce que les mots peuvent transcrire en suscitant l’imaginaire.

B!B!: Comment travailles-tu? 

Sophie: Les illustrations que je crée ont d’abord une visée technique. Aiguiser mes capacités à mesure que j’aiguise mes crayons dans le but de devenir tatoueuse un jour. Tout apprentissage du tatouage passe d’abord par la pratique intensive du dessin, le trace et la force des lignes. J’utilise des crayons aquarellables sur du papier semi-cire qui a la transparence des calques des tatoueurs et qui provient d’un de mes anciens jobs alimentaires: c’était l’emballage de bagels/hot-dogs que je servais dans un bar du 10ème.

B!B!: Quand dessines-tu et dans quelle condition?

Sophie: Je dessine pendant mon temps libre. Il y a trois mois, je me suis fixé comme discipline de dessiner au moins une heure tous les matins avant d’aller travailler. Cette discipline est rapidement devenue un besoin, une nécessité. Je dessine donc tous les matins et très souvent le soir en rentrant. Je limite ma vie sociale à son strict nécessaire, ne gardant en vie que les relations qui m’inspirent et m’aident a grandir. Je ne consacre que peu de temps aux mondanités. Le reste du temps, je vais voir des films, des expositions, pour nourrir cette boulimie d’image. Je n’arrive pas à dessiner ailleurs qu’assise en tailleur sur mon lit, le carton à dessin sur les genoux. Ça me donne des torticolis et ça me fait mal au dos, mais cela reste la position idéale. Quand je dessine j’écoute en général un album en boucle jusqu’à ce que je finisse la planche. Cela m’assure des émotions qui restent sur une même tonalité et je crois que mon trait s’en ressent.

B!B!: Que ressens-tu quand tu dessines?

Sophie: Probablement la sérénité d’un manque comblé. Du stress aussi parfois, lorsque je commence une nouvelle planche. La peur que mes crayons ne « marchent plus ». Je ne considère rien comme acquis. Parfois je n’arrive pas à créer ce que je veux. Je m’acharne avant de me rendre à l’évidence qu’il est temps de m’aérer l’esprit et la rétine – qu’il me faut échanger avec mes amis, aller voir un film, vivre un concert, boire un verre et observer la vie légère.

Sophie Poppins, dansons la capucine
Sophie Poppins, dansons la capucine , crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©
Sophie Poppins, Ofrin
Sophie Poppins, Ofrin , crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©
Sophie Poppins, A tire d ailes
Sophie Poppins, A tire d’ailes , crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©

B!B!: On retrouve énormément de dessins traitant de la relation Homme-animal, d’où vient cette inspiration?

Sophie: Le monde animal m’inspire. Tout comme le corps humain. J’aime la beauté animale, la fluidité du geste, l’absence de calcul, sa fragilité et sa force. Tout comme celle d’un corps nu. Mon rapport au corps par le biais de la passion du tatouage est sûrement un peu différent et lié à la recherche d’une esthétique, d’une identité propre à la personne qui est encrée. C’est lié à la nature du lien d’encre qui unit l’artiste-tatoueur au le tatoué – la cicatrice de vie que le tatouage représente, les histoires qu’il porte. Je suis aussi passée par des stades de vie un peu difficiles qui ont détérioré mon propre corps et m’ont ensuite permis de relativiser mon regard sur mon corps et celui des autres.

B!B!: Quels messages fais-tu passer dans tes oeuvres? Peut-on dire qu’il s’agit de l’extériorisation de tes pensées? 

Sophie: Je ne cherche pas consciemment à faire passer un message lorsque je commence une planche. Mais les intuitions ressortent. Je pense réussir a recréer mon univers intérieur par la poésie des images, les juxtapositions des mots et la limite qui les séparent.

B!B!: Il y’a une récurrence de loups et d’oiseaux dans tes dessins, pourquoi?

Sophie: Les oiseaux me touchent beaucoup. Ils représentent pour moi une force fragile, une liberté vulnérable. Ma mère en dessinait elle-même fréquemment. Les loups m’inspirent aussi, ils me semblent à la fois majestueux et bâtards. Mon père est un grand admirateur de la culture amérindienne. Il y avait une peau de loup chez mes parents, ramenée d’un voyage. Je m’y enrobais pour aller marcher dans le jardin la nuit ou alors je m’y lovais pour dormir.

B!B!: Qu’évoquent les fleurs pour toi? Pourquoi les mettre en relation avec des crânes ou des corps en décomposition? 

Sophie: Les fleurs ont une beauté fragile elles aussi. Elles sont les oiseaux du monde végétal. Elles représentent la beauté éphémère, la délicatesse, elles excitent les sens. Associées aux os elles ne sont que plus belles. Elles témoignent de la temporalité de la vie. Dans beaucoup de cultures on les associe a la mort. De façon morose, rigide et froide en France (comme la mort elle-même), de façon plus festive, sensorielle et spirituelle en Asie. Les vanités des peintures anciennes en étaient souvent parées. La longévité de l’os, témoin d’une vie qui fût, et la fleur, sensible à la lumière et à la chaleur de la vie. Les fleurs séchées sont un autre mystère qui m’inspire. Elles sont le squelettes des fleurs. Comme un petit oiseau mort. Cela est très beau et triste à la fois. J’aime le beau associé au triste. J’aime cette confrontation des sentiments.

B!B!: Pourquoi ce choix du rouge et bleu, ce non-remplissage?

Sophie: Cela vient du monde du tatoo. Le travail du trait continu limité le plus souvent à son essence. Le rouge et le bleu sont généralement les couleurs utilisées pour les croquis de tatouages. À la base, car l’esquisse prenait place en rouge avant d’être affirmée au bleu. La juxtaposition de ces deux couleurs faisait apparaître un violet qui était proche du contour noir final (maintenant il y a Photoshop qui permet de scanner une esquisse monochrome et d’en faire ressortir cette ligne maîtresse plus facilement, mais j’aime ce code esthétique et ai décidé de l’emprunter).

B!B! Il y’a énormément de métaphores dans tes œuvres, de poésie et parfois de surréalisme…

Sophie: Oui! J’aime quand la frontière entre le réel et le surréel s’affaiblit. Cela excite l’imaginaire et incite à se poser des questions sur sa façon de voir les choses, les détails la vie. J’aime la spontanéité la poésie naïve, l’incongruité des choses. Le dadaïsme, Dalí, Ionesco et le travail des surréalistes en général m’inspire et me fait rire.

B!B!: Quels sont les artistes qui t’inspirent? 

Sophie: Les artistes qui m’inspirent sont justement tous ceux qui arrivent à retranscrire l’émotion brute, j’aime les artistes qui arrivent à flouter les frontières entre réel et irréel, à retranscrire la vie poétiquement. J’aime beaucoup Fernando Pessoa comme auteur ou Haruki Murakami pour ses premiers ouvrages. Et puis ces deux dernières années, les artistes tatoueurs de deux salons à Paris (Hand in Glove et Mystery Tattoo Club). Ces deux salons sont de vraies galeries. Les personnes qui y travaillent et les habitent m’inspirent.

Sophie Poppins, sang bleu
Sophie Poppins, Sang bleu , crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©
Sophie Poppins, Benoiseau
Sophie Poppins, Benoiseau , crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©
Sophie Poppins, how horses are made
Sophie Poppins, How horses are made , crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©
Sophie Poppins, Jeux de mains jeux marins
Sophie Poppins, Jeux de mains jeux marins , crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©
Sophie Poppins, Ours au poing
Sophie Poppins, Ours au poing , crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©
Sophie Poppins, Study
Sophie Poppins, Study , crayon de couleur, papier cire, 25×32 cm ©

B!B!:Les chroniqueurs de Boum! Bang! Ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions issues du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées:

B!B!: Si tu étais une fleur?

Sophie: Une rose bleue.

B!B!: Si tu étais un animal? 

Sophie: Une Sirin. Ce sont des sirènes mais sous une autre forme, elles ont un corps d’oiseau et un buste de femme. J’aime cette opposition entre la sirène telle qu’on l’image et les Sirin.

B!B!: Si tu étais une plante?

Sophie: Je serais certainement une petite pousse qui essaie de faire sa place au milieu d’une forêt, cherchant les rayons du soleil pour survivre.

B!B!: Si tu étais un prénom?

Sophie: Le mien, Sophie, qui signifie La Sagesse.

B!B!: Si tu étais un tableau?

Sophie: Je serais un tableau noir avec des écritures partout à la craie. Car le tableau s’efface, les écritures changent.

B!B!: Si tu étais une musique?

Sophie: Une musique de Ben Frost.

B!B!: Si tu étais un livre?

Sophie: Un cahier moleskine, à emmener partout avec soi et à remplir.

B!B!: Si tu étais une saison?

Sophie: L’été.

B!B!: Si tu étais un pays?

Sophie: Une petite île perdue dans le pacifique.

B!B!: Si tu étais un choix?

Sophie: La fatalité. Accepter les choses comme elles viennent, on est plus heureux une fois qu’on accepte.

B!B!: Si tu étais un lieu?

Sophie: Un lieu où il n’y aurait personne. Juste un peu d’arbres et quelques animaux sauvages.

B!B!: Si tu étais une partie du corps?

Sophie: Les yeux.

B!B!: Si je te dis Boum! Bang!?

Sophie: You shot me down.