Née en 1967, Simone Stoll a passé quatre ans à Londres, trois à Berlin, six mois en Islande, puis quatorze ans à Marseille. Elle vit aujourd’hui à Francfort où elle est née.
Forte de ces expériences de l’altérité, l’artiste a cependant orienté son œuvre sur notre matière commune et plus particulièrement celle de la femme. À travers une multitude de techniques, elle poursuit les interférences entre corps et esprit dans un univers poétique et entier.
Dans « Inside », Simone Stoll réalise une performance vidéo mettant en scène un plan fixe de son corps, habillé d’une robe rouge de soie. L’habit révèle fragilement ses formes lesquelles se débattent fébrilement. Visage hors du cadre, la caméra filme les mouvements nerveux des mains qui à la fois protègent et dévoilent les contours dessinés par le tissu. Arrière plan de style japonais relativement dépassé dont les tons et motifs coïncident avec les stéréotypes de la féminité. Création sonore pesante voire angoissante, qui contraste avec cet univers ingénu et floral, dans une atmosphère sanguinolente proche de celle de Brian De Palma.
Le corps prend différentes formes et remplace le visage. Ses mouvements sont empreints d’une sensualité insatisfaisante, dans une demi-nudité dont l’érotisme est à la fois coupable et dérangeant. L’artiste s’asperge finalement d’eau, dévoilant encore sa silhouette jusqu’à sa disparation. Le spectateur assiste alors à une sorte de libération discordante, entre provocation et apaisement. La concordance des allusions à la séduction, au malaise physique, au changement et ses ruptures interroge ainsi le rapport que notre société entretient avec son corps.
Le médium de l’eau, dont les significations rejoignent les idées de purification et de transition, a été exploité par d’autres artistes contemporains tels que Marina Abramović dans « Cleaning the mirror » (1995). Au cours de cette performance, l’artiste serbe nettoie la reproduction de son squelette, faisant de cette métaphore une véritable démarche thérapeutique.
Orlan dans « MesurRages » (1979 et 2012) lave quant à elle publiquement la robe – faite dans les draps du trousseau offert par sa mère pour son mariage – qu’elle a portée allongée sur le sol pour mesurer les lieux avec son propre corps. L’eau du lavage est ensuite recueillie dans des flacons.
C’est ce processus de nettoyage cathartique qui est à nouveau repris par Simone Stoll dans « Unlearn ». Cette vidéo en plan rapproché expose un lavage de mains aux ongles rouges, se voulant tantôt charnel tantôt destructeur, toujours excessif et dérangeant. Une voix de femme parle d’apprentissage et de désapprentissage, de reconstruction et de troubles. Le texte est inspiré des écrits du chercheur Norman Doidge sur la neuroplasticité, capacité du cerveau à se réparer.
Simone Stoll a en effet souhaité témoigner au cours de son travail, des liens étroits entre l’esprit et le corps humain en dévoilant l’intimité à la fois physique mais aussi émotionnelle de leurs rapports. En résidence pendant deux ans dans un centre d’art situé dans les locaux d’un hôpital psychiatrique à Aix-en-Provence puis à Marseille avec des laboratoires spécialisés en neurosciences, l’artiste a fait évoluer son œuvre de manière concrète.
La série « Kinetic Profiles » retranscrit ainsi une suite d’expérimentations reproduites au fusain, dont le terme scientifique paraît désigner les mouvements concrets de l’esprit. Sont transposées des courbes en tension, des lignes fragilement maintenues dans la continuité rappelant des électro- encéphalogrammes. La déviance soudaine de certains rayons, l’utilisation de la matière pour renforcer ou atténuer les teintes interroge notre vision du dysfonctionnement et signe par ces traces aléatoires des preuves d’existences. Les ondulations de « Circular Live » rappellent quant à elles les rondeurs féminines, faisant écho au vaste champ allégorique que l’artiste dédie à la femme.
Du choix de la fleur dans la séquence « Rose » au choix des couleurs et formes de chaque œuvre, Simone Stoll nous livre comme une reconstitution équivoque de sa conception de la féminité, admettant le caractère très personnel de cette démarche. Elle est en effet l’unique modèle de ses photos et de ses vidéos, et expose à la fois son intimité et ses identités, présentant son travail comme une recherche de beauté sensuelle et poétique, une image des émotions propres à l’amour et à son absence.
Avec une prédominance des couleurs de la chair, Simone Stoll associe à son message esthétique les codes contemporains de la féminité. La société a effectivement défini la femme comme un être délicat et sensible, figure romantique et séductrice. Souvent associée à la couleur choisie pour les petites filles, comme une éternelle enfant à protéger. L’artiste évolue dans cet assemblage de messages stéréotypés de manière assumée et légitimée par une sensibilité décomplexée. Composée de blanc et de rouge, la couleur rose rassemble cependant deux symboles forts à la fois de pureté, de virginité mais aussi de violence et de vie. Ce qui peut frapper dans l’oeuvre de Simone Stoll réside essentiellement dans ce décalage entre la rudesse de certains propos et la crédulité de l’esthétique et des confessions.
Dans la série « Skin », sont inscrits des messages à l’encre dans des teintes de rose, tranchants mais dilués tels des injonctions scarifiées: « You must cut deeper » ou « You must grow thick skin ».
Dans sa série « Diptyque » (1999) elle offre de manière puissante des couleurs fortes et tumultueuses dont l’allusion sanglante, ambivalente et duale peut aisément s’associer au cycles de la féminité. La série « Anemone » assume pour sa part une invocation mutine et spontanée de la flore vaginale.
Aussi, si l’artiste s’inscrit innocemment au cœur des controverses interrogeant le genre, elle ajuste notre regard sur la matière dont est fait l’être et explore son orientation. Elle inspire effectivement ses encres et aquarelles de l’imaginaire biologique et anatomique. Des embryons gémellaires aux poumons dans « Bodies », des cellules de « Vulnerables » semblables à des virus ou créatures abyssales, le trait est à la fois précis et aérien. Luminosité chirurgicale, focale microscopique, on y décèle des membranes, des noyaux débarrassés de leur chair et délestés du superflu.
Dans « Soft Bodies Extras » on retrouve la beauté d’une palette de couleurs chaudes dérivées du vermillon, du jaune et du framboise. L’utilisation de l’aquarelle permet le contraste de pigments concentrés associés à une application diluée. Le rendu est voluptueux, superbement fruité, infiniment érotique. Les formes sont faites d’interstices, de cheminements charnels, d’issues filamenteuses, de fibres caverneuses.
Et, comme la phase finale d’un corps en construction, la série « Love letters » conclut en révélant avec éclat les empreintes intimes de l’artiste. L’utilisation de rouge à lèvres appliqué sur ses lèvres pour créer des monotypes amène à la fois une touche d’esprit mais aussi un rendu épuré et minutieux. Ces impressions vaginales dessinant d’ailleurs comme un hasard opportun, des cœurs anatomiques aux formes aussi provocantes que fascinantes.
Si on traduit les propos de l’artiste (tirés de « Body » pour la publication de « Softbodies-extra » aux éditions La fabrique sensible en 2006) on y trouve finalement une vision moins candide que celle que l’on aurait pu appréhender à partir de cet entrelacs d’évidences dérangeantes. Elle y dénonce calmement la vision unilatérale du corps des femmes, dont les poils dit-elle apparaissent désormais plus comme des imperfections. Corps souvent infantilisé, son vieillissement emplirait de peur et de honte. La femme verrait en outre rarement ses organes génitaux à la différence de l’homme, ce qui exigerait chez elle un effort mais aussi une approche intellectuelle de ceux-ci. Cette image intériorisée de soi serait selon elle plus forte et plus précise que ses réalités anatomiques. Rien n’est plus agile que l’art pour apaiser un temps les plus fervents polémistes.