L’attente s’installe. Des hommes debout ou couchés, accoudés contre une étagère ou à même le sol, marquent l’arrêt. Simon Martin représente le calme apparent d’un rêveur endormi, la tension sourde d’une faille sur un mur. Des « petits faits vrais » qui accréditent un quotidien, donnent « l’impression de » alors même que rien ne bouge. La toile prolonge le présent et seuls les mouvements du pinceau sont visibles. Nous sommes toujours dans le temps de la pose, en suspens. Le peintre procède à la mise au point et le regard se précise, par endroits il se fait plus flou ou plus précis. La concentration est la condition nécessaire à la création, à la peinture. Quelque chose se prépare, l’artiste nous en montre les prémices. Les contours sont tracés, le dessin vibre. Ce n’est pas le début d’une histoire, c’est le tableau en train de se faire.
Simon Martin montre l’atelier au travers de ses toiles. Il peint d’observation et figure son environnement direct autant qu’il laisse voir son geste. L’encadrement d’une porte, l’ouverture d’une fenêtre ou le pan d’un mur nous ancre dans un espace concret. L’artiste s’amuse de nos repères et avec un reflet, une lumière indirecte il dessine un lieu de passage, pris entre intérieur et extérieur comme dans « Atelier III ». Les portraits qu’il brosse sont ceux de ses amis, ses premiers modèles avec lui-même. Il faut y voir autant des raisons pratiques, économiques qu’un goût pour l’introspection. Les proches qui donnent leurs prénoms aux tableaux (les Christine, Juliette, Sabrine et Nicolas…) confèrent un surcroît d’intimité à ces scènes. Le visage est l’objet d’un jeu, qualifié parfois d’exercice, de reconnaissance. Tantôt dans l’ombre avec « Figure », tantôt dans la lumière avec « Exercice 3- Autoportrait », la figure même du peintre est ambigüe à la fois familière, à force de regard, et toujours distante.
Lauréat du prix du portrait des Amis des Beaux-Arts de Paris, Simon Martin mesure l’écart entre lui et les autres. Tour à tour acteur et spectateur, modèle et peintre par la grâce du miroir, il développe une manière d’être au monde profondément mélancolique. Les regards en coin, détournés, voire escamotés témoignent d’une incommunicabilité, d’une impossibilité à se comprendre vraiment. Dans ses peintures de dormeurs, « Annabelle et Nicolas », « Sabrine » et « Christine », il évite les détails du fond et se concentre sur les yeux clos. Pas de drapé mais un fond ouaté dans lesquels s’enfoncent les modèles avec confiance. On peut se demander longtemps de quoi les personnages rêvent dans ce traitement à l’huile de la profondeur. Ils demeurent inaccessibles tout entiers abandonnés à la peinture. Les aplats des coussins plus ou moins vifs, plus ou moins nuageux affirment discrètement la place de la couleur, la prédominance de tonalités de bleu.
Ce n’est pas le réalisme que recherche l’artiste. Si deux manières coexistent sur la toile, l’une précise et descriptive, l’autre plus grossière et évocatrice elles ne tendent qu’au même geste, celui de peindre. L’observation, pour minutieuse qu’elle soit, reste un prétexte. L’étagère que décrit Simon Martin dans « KALLAX », du nom du meuble Ikéa, ne pose qu’une indication de décor et l’écran bleu de la télé qui s’étire au-delà du cadre a quelque chose d’atmosphérique. Le sujet disparaît derrière la matière et les textures presque vaporeuses. La couleur comble les interstices du réel et se niche par exemple, avec « L’ombre sur ton épaule », dans l’encolure d’un t-shirt. Les toiles manifestent la possibilité d’une épiphanie et à cet égard « L’espace entre ronge les choses » a presque valeur de manifeste. La faille dans le mur outre un geste de bravoure pictural, devient ce moment où le banal bascule.
Une image en cache une autre, ainsi des ibis rouges qui reprennent un motif d’Edgar Degas. Simon Martin revendique l’influence des autres peintres quand bien même elle n’apparaît qu’au second plan. Il leur emprunte un audacieux mouvement de brosse ou une conception pour le moins religieuse de l’espace. La composition du « Rendez-vous manqué » rappelle non sans ironie celle d’une Annonciation quand celle d’ « Atelier II » avec son porche symbolique et ses feuilles en suspens défie la logique d’une ascension. La superposition des couches de gris, de bleu et de rose dévoilent plus qu’elles ne couvrent. L’ensemble de petits et grands formats exposés à la Galerie Monteverita s’offre au regard comme un poème. Sous le titre, emprunté à Sartre, « L’été des autres » l’artiste nous propose une saison de travail entre affirmation d’un langage pictural et moment de révélation. Dans le suspens, comme un condensé de vie.