Sally Mann, née en 1951, a photographié ses enfants dans les années 1980, en été, dans sa grande propriété de Virginie. Elle s’inscrit dans une démarche maternelle banale: saisir sur pellicule ces petits hommes qui grandissent. Mais il y a quelque chose dans ses photographies qui touche au sublime… Jessie, Emmett et Virginia sont époustouflants de beauté. C’est à pleurer, une telle beauté enfantine ne peut pas durer et déjà se heurte au face à face avec la vieillesse dans The Two Virginias (1988). Cette photographie rappelle Le vieil homme et l’enfant de Domenico Ghirlandaio (1490), douloureuse peinture qui rapproche la douceur du visage d’un tout jeune garçon du visage affreux d’un vieillard. Sally Mann entoure ses enfants de ce qui va mourir ou périr et qui porte les marques du temps. Photographier la beauté incroyable d’une petite fille l’ancre dans un temps, une seconde, une fraction de seconde. Il faut saisir vite ce qui va changer. Il faut photographier Virginia tant qu’elle est belle comme le soleil, ou plutôt comme une fleur encore mouillée de rosée.
© Sally Mann, Emmett, Jessie and Virginia, 1989
© Sally Mann, The Two Virginias #1, 1989
© Sally Mann, Night-blooming Cereus, 1988
© Sally Mann, Naptime, 1989
© Sally Mann, Candy Cigarette, 1989
© Sally Mann, The last time Emmett modeled nude, 1987
© Sally Mann
© Sally Mann
© Sally Mann
© Sally Mann
© Sally Mann
© Sally Mann
© Sally Mann
Les photographies de Sally Mann sont empreintes de sensualité, de sexualité quasi-criminelle. On ne peut qu’être troublé par les positions suggestives que prennent de si jolis êtres, nymphes de lumière, apollon d’acier. La mise en scène travaillée au collodion humide, technique très datée, teint ses photographies d’un filtre romantique qui exalte les contrastes et les matières. Son œuvre est poétisée comme un souvenir, une image fantasmée, voire imaginée d’un esprit délirant. Nabokov a su l’écrire comme elle le photographie :
« Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta : le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois, contre les dents. Lo. Lii. Ta.
Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l’école. Elle était Dolores sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita. »
Il est presque inimaginable que de tels délices eussent pu choquer. C’est l’essence de la vie même que de s’attarder sur de telles sucreries; l’art n’a pas de limite, il relève d’un monde où il n’y ni morale ni justice. Les photographies de Sally Mann montrent une véritable sensibilité poétique qui confronte la vie à la mort, le beau à l’affreux, et qui s’amusent des jeux enfantins. Candy Cigarette a irrité les esprits conservateurs: mais quelle petite fille n’a pas singé sa mère en portant à ses lèvres une cigarette de chocolat, en se barbouillant de rouge à lèvre ou en essayant des chaussures trop grandes? Allons plus loin: quelle petite fille n’a jamais senti son propre corps, ses zones érogènes? Le corps d’un enfant est un mystère brûlant que Sally Mann effleure avec romantisme, en observant ses jeux et ses balbutiements. L’heure la plus belle de toute vie, le développement.