L’univers de Romain Lecornu puise dans ses territoires alentour comme  dans les profondeurs de la Terre. L’artiste s’inspire de ce qui traîne devant sa porte autant que de vestiges enfouis dans les tiers paysages, les lieux damnés, l’entre-trois-périphériques, ou les no-man’s-place de la ville. A Romainville, les alentours se caractérisent par l’omniprésence mystique de Cheetos et de cannettes de Redbull. Alors les œuvres donnent naissance à des cocons d’aluminium et à des murmurations de Cheetos dansant dans un ciel orageux.

apres nous le deluge
Romain Lecornu, Perruches, 2021 ©

Comme un Robinson sur une île déserte après le déluge, l’artiste se dresse en homo sapiens-sapiens, et nous fait traverser les strates et les époques de notre planète. Il la parcourt, la regarde, l’explore, plonge ses mains dans la boue en quête de trésors antédiluviens. Il revêt ses yeux de chasseur-cueilleur excavant toutes sortes de matériaux. Il en ressort des animaux séchés, fossilisés, crapauds, souris, serpent, chat, parfois en parties de squelettes ou en mues. Quant aux humains, nous en avons perdu la trace, pas d’ossements ni d’ADN, seulement des restes de tee-shirt ou de vieux hoodies qui ont décoloré terre-de-sienne. Trouvant leur place sur la même étagère, certaines de ces trouvailles sont aussi des offrandes, rouillées, dégradées, désagrégées ; que ce soit d’avant-hier ou de sept-mille ans, chaque élément a déjà franchi la porte d’un autre espace-temps. Tous arrivent sur la scène avec leurs marques et leurs cicatrices et se galvanisent de leur nouvelle histoire commune après le passage de l’artiste.

Romain dresse des messages en lançant des canettes à la mer. Il s’attèle à la construction de nouveaux autels comme si la nouvelle époque avait besoin de nouvelles croyances. Nos vieux sweaters brûlés en feu de joie se retrouvent accrochés au mur comme en souvenir d’une anthropocène déchue. La présence de chaque objet n’est pas aléatoire, mais ne dépend pas non plus d’un scénario. Romain Lecornu crée l’ambiguïté en mixant les temporalités au corps d’une même pièce. Passé, présent, futur : nous sommes parfois témoins de mutations et de métamorphoses. Certains fruits sont encore en voie de décomposition, certaines bougies sont en train de brûler, de fondre et créent de nouvelles peaux. Comme des améthystes peuvent se protéger sous la gangue, l’artiste chrysalide ses constructions sous une neige artificielle.  Des gargouilles moulées de plomb se font gardiennes éparses de l’espace. Des arbres morts poussent dans des cartons de bière, comme des renaissances radioactives après la catastrophe. Il y a, quelque part, quelque chose, qui nous tient sur le fil du rasoir. Une magie bien aiguisée.

apres nous le deluge
Romain Lecornu, Dead or alive, 2020 ©

Le travail de l’artiste nous ramène à nos origines, sur les traces de ceux qui ont foulé ce sol avant nous, qui l’ont habité avant nous, qui l’ont détruit avant nous. Il en arrache les croûtes et pourrait bien gratter jusqu’aux entrailles. Hier, aujourd’hui, demain, il faut se sentir transporté à la vue de ces pièces qui traversent toutes les strates sous nos pieds, du jurassique au post-apocalypse baby. Nous survolons tous les temps et tous les états, du semi-mort au presque-vivant ; l’artiste nous renvoie à l’Après, à la Mort, au Demain, mais nous laisse toujours une porte ouverte, un néon allumé pour ne pas avoir peur. Cela prend tout son sens quand, derrière la vitre salie, des néons décomposent « CA IRA MIEUX APRÈS DEMAIN ». Cette lumière, comme une invitation vers l’au-delà, une main tendue vers l’après-demain. Car on vous le dit, ça n’ira mieux ni ce soir ni demain. L’après-demain, l’après-après, le jour qui n’arrivera ni maintenant ni demain ni jamais. Après-Demain, il s’arrêtera de pleuvoir. Ça ira mieux après demain quand on se sera remis d’hier soir.

Ouvrez bien vos pupilles, l’artiste ne manque pas de nous offrir sur un plateau des indices psychédéliques, amanite tue-mouche ou kétamine. Il font partie à part entière des oeuvres et sont une invitation à perdre le contrôle, à réinvestir l’homo-erectus que nous ne sommes plus et à surfer sur le fil tendu de la poésie, walking on xtc. Comme après un mauvais voyage de LSD, les pommes de septembre se transforment en monstres aux yeux piqués de rose. Welcome. La boule de Noël brisée, acérée comme un silex, fait écho aux ailes tranchantes du papillon de l’autre côté de la pièce. Il y a maintenant nos tristes hivers, leurs Noëls fallacieux et les épines qui ont déserté le sapin. La chaleur du printemps et les odeurs des fleurs fraîches, la citrouille d’Halloween qui a pourri sur la fenêtre, les bougies qui ont gâché le gâteau, les crapauds écrasés sur la macadam brûlant et le père fouettard dans le placard. Toutes saisons confondues. Emporté par le spleen de la neige presque carbonique, devant les pièces, on ressent le vent qui a arraché les feuilles des palmiers, le sable qui recouvre nos pieds, on ressent l’iode et les névés, on voit la brume et derrière elle, les arbres calcinés, la gangue ouverte sur sa branche, grotte sombre et stalactites, little dragon nest, bijoux en roc, paillette en toc, amanite en bouche, améthyste tue-mouche, fleurs fraîches, jours tristes, animal mort. Nos pupilles dilatées bleues se reflètent sur nos inconsolables rétines.

Alors ne vous inquiétez pas, car c’est déjà fini et ça ira mieux après-demain.
Après-demain, il s’arrêtera de pleuvoir. 

Ça ira mieux après demain, quand on se sera remis d’hier soir. 
Après-demain, le printemps.
Après nous,
le déluge.

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Romain Lecornu, Last dive, 2020 ©
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Romain Lecornu, Teenage Fantasy, 2021 ©
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Romain Lecornu, My little dragon nest, 2021 ©
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Romain Lecornu, Unknown Death, Walking on xtc, 2020 ©
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Romain Lecornu, C’est déjà fini (détail), 2021 ©
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Romain Lecornu, C’est déjà fini 1 (détail), 2021 ©
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Romain Lecornu, Amour (détail), 2021 ©
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Romain Lecornu, Insomnia 2, 2020 ©
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Romain Lecornu, Alpha 7, 2020 ©
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Romain Lecornu, CA IRA MIEUX APRES DEMAIN :), 2019 ©
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Romain Lecornu, D O O M 3, 2020 ©