Rithika Merchant
Opulente Sérénité
« Même si la science donne une description précise de l’humanité, elle enlève le pouvoir spirituel donné à chaque être humain de comprendre sa propre destinée. » [1]
L’approche rationnelle des sciences modernes dans l’explication de nos modes d’existences écarte les subjectivités et la spiritualité. À l’encontre de cette perception aliénante, Rithika Merchant puise dans un océan de références mythologiques. Les contes populaires ou religieux nourrissent l’univers opulent de ses peintures sur papier. Sensible aux troubles de notre époque, elle édifie un modèle de pleine quiétude.
Née en 1986 à Bombay (Inde), Rithika Merchant étudie à la Parsons School (NY), avant d’explorer le Portugal, la Roumanie et le Sénégal grâce à ses résidences artistiques. Au cours de ses voyages, elle récolte les mythes et les narrations cosmogoniques, lesquels finissent par devenir des figures, des formes géométriques qui s’impriment sur des couches de papiers pliés, puis peints. Ainsi, de ses œuvres surgissent de multiples fragments empruntés à l’art tribal indien, aux imprimés Kalamkari, aux peintures Mughal, aux miniatures monghol, aux imageries populaires européennes, et aux anciennes illustrations botaniques. En constituant des images syncrétiques, elle dupe les années, les époques, les lieux et élabore une cosmogonie contemporaine. Dans cette mécanique de construction, les mythes et les contes s’acheminent vers notre réalité. Rescapés, ils survivent hors du temps.
Dans l’abondance iconographique inspirées de mythologies personnelles et collective, ses peintures me rappellent certaines œuvres de l’artiste suisse d’art brut François Burland. Ce dernier partage avec la peintre le goût du remplissage ornemental. Contrairement à l’artiste suisse, dont les dessins représentent une tourmente foisonnante ; une opulente sérénité émane de la clarté de la composition et de l’intensité décorative des œuvres de Rithika Merchant.
Si la richesse ornementale happe, leur structuration géométrique donne au décor continu un support à notre regard. La plénitude est obtenue par la répétition de motifs fondamentaux qui couvrent toutes les parties de l’œuvre. En faisant office de cloisonné, les plis du papier sont le squelette sur lequel le décor s’anime et vibre de l’éclat qui lui est propre. On s’y engouffre à loisir.
C’est sur un même plan qu’apparaissent les figures humanoïdes ou végétales. L’absence de perspective brise les hiérarchies. En effet, dans les peintures-univers de Rithika Merchant, les personnages et les plantes s’entrelacent ou s’hybrident. Les corps répondent aux textures, la forme des végétaux épouse les corps. Par ce biais, les peintures de Rithika Merchant encouragent une vision désanthropocentrée et une approche holistique dans la connaissance de nos écosystèmes. Si l’artiste efface les hiérarchies entre les espèces, ses œuvres font également table rase des constructions culturelles, en commençant par l’identité de ses « peoples » désignant ses figures humanoïdes. Ces dernier·es demeurent non-identifié·es, non-assigné·es à un genre, ni à une race. Iels ne sont d’ailleurs ni entièrement humain·es, ni animales. Il s’agit d’êtres hybrides, libres de tout attribut culturel qui pourraient les inhiber.
Outre les figures, Rithika Merchant déploie un vocabulaire visuel plus abstrait. Teintées d’une spiritualité supplémentaire, sa série de collage intitulée Monolythics Works délaisse les formes humanoïdes identifiables. Ces collages opèrent un léger déplacement du surréel vers l’abstrait. La manière dont son travail s’ouvre sur un « ailleurs » m’évoque les peintures d’Hilma af Klint .
En écho avec cette icône de l’abstraction, je remarque un vocabulaire plastique latent chez Rithika Merchant : celui de la prééminence des surfaces circulaires. En effet, c’est autour d’un point concentrique que s’agencent les éléments. Le temps semble s’écouler de manière cyclique dans son univers, où la mort devient un éternel recommencement. À ce propos, Rithika Merchant déclare : « Quand les artistes meurent, ils vont dans le monde qu’ils ont créée » [2] .
Et nous, regardeur.se.s, peut-on y entrer ?
[1] « Shalini Passi in Conversation with Rithika Merchant », Mash India, URL : https://www.mashindia.com/shalini-passi-in-conversation-with-rithika-merchant/ [consulté le 10/11/23]
[2] Our choices art, « RITHIKA MERCHANT – Festival of The Phoenix Sun », Galerie LJ, Paris, 01/09/22, Youtube, URL : https://www.youtube.com/watch?v=CqJq0zVNr0o [consulté le 10/11/23]