Les rapports sur la guerre en République Démocratique du Congo font froid dans le dos. L’International Rescue Committee fait état de 4,5 millions de tués, par la faim, par la maladie ou par le fer, et de près de 184.000 viols, entre 1998 et 2007. Pendant presque vingt années, plus de quarante groupes armés de différentes origines ont piétiné ce pays grand comme l’Union Européenne. La participation de l’Ouganda, du Burundi, du Rwanda ainsi que la dimension ethnique des affrontements entre hutu et tutsi complexifie les enjeux du conflit et sa compréhension. Comment rendre compte par l’image de la réalité de cette guerre inextricable? Le photographe irlandais Richard Mosse le fait en utilisant la pellicule photo infrarouge Aerochrome de Kodak, récemment retirée du marché. Avec cette technologie, la végétation du Congo prend une teinte magenta, les uniformes deviennent violets et les survêtements rendent un jaune vif. La couleur des corps, elle, reste telle qu’on la voit à l’oeil nu.
Ce déphasage chromatique dit la rupture entre ce peuple et sa terre, occupée et pillée par des forces étrangères. Les hommes ne paraissent pas voir ce fantôme pigmentaire qui les entoure. Ils sont des exilés dans leur patrie, qui pourtant recèle une beauté surréelle. Le sol semble imbibé de la couleur du sang versé et il la dégorge sous l’oeil du photographe. L’infrarouge permet de voir l’invisible, une sorte d’extralucidité du regard. Développée par Kodak pour l’armée américaine dans les années 1940 afin de déceler des camouflages, cette pellicule a un très fort pouvoir de révélation du spectre de couleurs que l’oeil humain ne peut pas voir. Elle permet à l’artiste de regarder sous la surface des choses (infra) et de comprendre la violence inscrite dans ce paysage. La photographie de guerre connaît ici un développement nouveau et magistral.
Infra, 2010-2011
La série Infra qui est actuellement exposée à la Jack Shainman Gallery à New York, montre l’intégration de rebelles issus du Congrès National de Défense du Peuple (CNDP) au sein de l’Armée Nationale Congolaise.
« L’idée de couvrir une histoire révèle la tâche d’un photojournaliste. Le journalisme est extrêmement important quand il s’agit de représenter un conflit. Mais ce n’est pas la seule stratégie disponible. Il y a un éventail de formes d’art au-delà du photojournalisme. Comme ils ne sont pas aussi concrètement instrumentaux que le journalisme, ils nous donnent beaucoup plus d’espace pour respirer. C’est très important parce que le monde est un lieu complexe. »Richard Mosse
The Fall, 2008-2009
Nomads, 2009
Réalisée en Irak en 2009, cette série de clichés intitulée Nomads étale l’expression de la violence que l’on trouve dans ce pays. Le traité est magnifié, les couleurs sont crépusculaires, l’ignoble devient beau. Richard Mosse nous donne à voir des reliquats de vie, des voitures criblées de balles, conséquence directe de l’action américaine en Iraq.
Breach, 2009