Comment l’usage de la peinture peut-il être aujourd’hui encore renouvelé dans l’art? Telle est la question à laquelle l’artiste Richard Jackson semble avoir voulu répondre tout au long de sa carrière. Chacune de ses créations pourrait en effet avoir pour but de faire sortir de son cadre cette vieille dame qu’est la peinture.
Pour arriver à ses fins, l’artiste n’a peur de rien, quitte à sérieusement bousculer les conventions et nos sens par la même occasion. Ses performances et ses installations in situ sont aussi colossales que ses ambitions et invitent le spectateur à se plonger dans la couleur, à se perdre dans les matières en renouvelant l’expérience de la visite.
En 2012, Richard Jackson réalise l’un de ses rêves les plus fous: organiser le crash d’un avion rempli de pots de peinture contre une toile géante, le tout en public. De cette collision nait une peinture faite de giclées de couleurs dispersées au gré du hasard. Un happening avec happy end qui résume assez bien tout l’esprit de cet artiste dont les actions oscillent entre ultra-calculé et ultra-spontané. Plus attaché au processus de création qu’à son résultat final, Richard Jackson prémédite en effet chacune de ses expérimentations et laisse ensuite l’aléatoire faire son travail. La peinture semble ne pas y être soumise au contrôle et ne pas connaître de limite. Elle est répandue, pulvérisée, étalée, déversée et explose littéralement les codes de l’art en se transformant parfois même en véritable sculpture.
Richard Jackson, Accidents in Abstract Painting, 2014, S.M.A.K., Courtesy the artist and Hauser & Wirth. Photographie: Dirk Pauwels ©
Richard Jackson, vue intérieure de l’œuvre « Untitled (Maze for Eugenia Butler gallery) », 1970, reconstruite à l’occasion d’une exposition au S.M.A.K de Gand (Belgique) en 2014. Photographie: Julien Foulatier © Richard Jackson
Richard Jackson, vue intérieure de l’œuvre « Untitled (Maze for Eugenia Butler gallery) », 1970, reconstruite à l’occasion d’une exposition au S.M.A.K de Gand (Belgique) en 2014. Photographie: Julien Foulatier © Richard Jackson
Richard Jackson, Painting with Two Balls, 1997, Ford Pinto, metal, wood, canvas, acrylic paint, 20 x 36 x 20 feet. Photo: © Grant Mudford. Image courtesy the artist and OCMA
Richard Jackson, Untitled (Project for Orange County), 2013, canvas, wood, acrylic paint. Courtesy of the artist. Photo: © Grant Mudford. Image courtesy the artist and OCMA
Richard Jackson, 5050 Stacked Paintings, S.M.A.K., Rennie Collection, Vancouver © Photographie: Dirk Pauwels
Dans certaines de ses fresques, la toile peinte est utilisée comme un pinceau. Une fois recouvert de couleurs, le châssis est en effet appliqué et frotté directement contre le mur d’une salle laissant derrière lui des arcs-en-ciel visqueux. Ici, le tableau se trouve bel et bien fixé au mur mais à l’envers. La peinture se trouve aussi bel et bien à sa surface mais également à l’extérieur, sur le mur. Pour ses « Stacked Paintings », les toiles sont enduites de peinture, puis empilées les unes sur les autres pour former les parois et les murs d’installations où le visiteur est invité à évoluer. La toile devient un élément d’architecture à part entière et n’est plus considérée comme une oeuvre à voir. Un principe que l’on retrouve également dans ses labyrinthes dont la structure est créée à partir de toiles géantes recouvertes de peinture.
Guidé par cette quête de renouvellement et cette recherche de nouveaux mécanismes de création, Richard Jackson utilise une automobile couchée sur le flanc et surmontée de deux sphères rotatives géantes. En les reliant, il invente une sorte de machine à peindre proche du système d’arrosage capable de projeter tout autour de lui de la peinture. Une expérience que l’artiste a également réalisée à l’aide d’une moto dont les roues frottant sur un sol couvert de peinture créaient des projections.
Son étrange galerie de sculptures semble également être pensée en suivant ce principe: des mannequins aux postures rocambolesques mais aussi des animaux dans lesquels l’artiste fait entrer et sortir de la peinture par différents orifices ou par l’intermédiaire d’entonnoirs et de tuyaux. Il crée ainsi des sortes de fontaines, exposées vides ou couvertes de peinture. Celles-ci peuvent d’ailleurs être perçues avec un liquide corporel proche du sang et de l’urine ou comme une sorte de fluide qui en jaillissant pourrait par métaphore faire penser à des idées ou des émotions.
Richard Jackson, Upside Down Man (Blue, Orange), 2008, (détail) fiberglass, acrylic paint, 127 x 132,1 x 71,1 cm © David Kordansky Gallery – Richard Jackson
Richard Jackson, Glass Baby (Red), 2008, glass, acrylic paint, 221 x 64.1 x 48.3 cm © David Kordansky Gallery – Richard Jackson
Richard Jackson, Complementary Colors Face-to-Face (Black/White), 2011, steel, wood, aluminium, paint, 218,4 x 142,2 x 142,2 cm © Hauser & Wirth – Richard Jackson
Richard Jackson, Duck General, 2007, fiberglass and hardware, 167,6 x 91,4 x 60,9 cm. Photographie: A.Burger © Hauser & Wirth – Richard Jackson
Richard Jackson, dans sa quête d’une peinture toujours plus surprenante, revisite également les grands classiques de l’art avec irrévérence. Il recrée par exemple le chef-d’œuvre pointilliste de Georges Seurat « La Grande Jatte » à l’aide d’un fusil à plomb chargé de granules couvertes de peintures. 90 000 tirs plus tard, la toile reste inachevée et pourrait tout à la fois être un hommage au travail titanesque de Georges Seurat ou une sorte de pied de nez.
Richard Jackson, La Grande Jatte (after Georges Seurat) (vue d’ensemble et détail), 1992, Rennie Collection, Vancouver © Richard Jackson
Richard Jackson, The Laundry Room (Death of Marat), 2009, courtesy the artist and Hauser & Wirth. Photographie: Stephan Altenburger Photography, Zürich
L’artiste s’exprime également à travers de grands assemblages d’éléments: des sortes de capharnaüms ressemblant plus ou moins aux pièces d’une maison ou d’un laboratoire. S’y mêlent sculptures, tubes, jouets, le tout couvert d’éclaboussures se répandant également sur des murs où sont placés des toiles monochromes. Un joyeux bordel rappelant les créations d’un autre artiste fou Paul Mc Carthy. Ces installations peuvent être lues de façons très différentes mais donnent souvent l’impression que Jackson se représente ou représente l’artiste dans ce qui pourrait être un atelier, seul face aux toiles et en quête de nouvelles expériences et de nouvelles inspirations.
Dans tous les cas, Richard Jackson semble vouloir « décomplexer » la peinture, discipline qui porte le poids de siècles de pratique, des grands maîtres, la rendre moins sérieuse et plus souriante à l’image de son œuvre « Untitled » (Pallet Drawing) »: une palette de peintre en bois qu’il a complétée en y dessinant un œil et un sourire.
Richard Jackson, The Little Girl’s Room (Installation view), 2011, photography: Fredrik Nilsen. Courtesy of David Kordansky Gallery, Los Angeles, CA and Hauser and Wirth, Zurich, Switzerland © Richard Jackson
Richard Jackson, The Delivery Room, 2007, (detail) self-contained – installation, 274,3 x 304,8 x 304,8 cm © David Kordansky Gallery – Richard Jackson
Richard Jackson, Untitled (Pallet Drawing), 2009, wood, graphite, 30,5 x 40,5 © Hauser & Wirth – Richard Jackson
Richard Jackson, Upside Down Girl with Unicorn Head, 2011, painted fiberglass, 218,4 x 182,9 x 182,9 cm © Hauser & Wirth – Richard Jackson
Richard Jackson, Dick’s Big Duck, 2008, fibreglass, steel, 674 x 318 x 250 cm, installation view, Avenues of Berlage’s Plan-Zuid, ‘Artzuid 2011 – Internationale Sculptuurroute’, Amsterdam, Netherlands, 2011. Photographie: Jan Willem Kaldenbach © Hauser & Wirth – Richard Jackson
Richard Jackson, Big Girl (Red), 2008, aluminium, colour, 330 x 100 x 138 cm. Photographie: A.Burger © Hauser & Wirth – Richard Jackson
Richard Jackson, Ain’t Painting a Pain, 2012, neon and acrylic paint, approx. 72×120 inches © Richard Jackson
Richard Jackson, Bad Dog, sculpture installée contre le mur de l’Orange County Museum Of Art (Newport Beach) à l’occasion de la rétrospective de l’artiste en 2013 © Richard Jackson.
Richard Jackson est né en 1939 à Sacramento. Il a étudié l’art entre 1959 et 1961. Il a ensuite vécu et travaillé à Los Angeles, Pasadena et Sierra Madre. Il a également enseigné la sculpture au UCLA de Los Angeles entre 1989 et 1994. Il est actuellement représenté par la Galerie Hauser & Wirth, la Galerie David Kordansky et en France par la Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois.