Rebecka Tollens est une jeune artiste franco-suédoise dont les dessins à la mine de plomb sont reconnaissables par cette atmosphère troublante composée de personnages de l’enfance. Son univers singulier dépeint des scènes de vie étranges et oniriques, résultat d’une exploration sur le territoire de sa propre intériorité. Des images envoûtantes et dérangeantes qui proposent une poésie particulière.
B!B! : Rebecka, peux-tu te présenter ?
Rebecka : Je suis née et j’ai été élevée dans la banlieue de Stockholm en 1990, où je vis et travaille actuellement après avoir passé 10 ans en France. Ma mère est suédoise, mon père est originaire des Alpes françaises. A l’origine je voulais devenir politicienne, traiter des droits de l’Homme. Mais depuis 2011, j’étudie et travaille le dessin au crayon et fusain. Je partage un atelier, La Junte à Stockholm avec sept femmes incroyables qui travaillent dans divers domaines artistiques.
B!B! : Quel rôle ont joué les voyages sur cette envie de devenir dessinatrice ?
Rebecka : Mes voyages créent des opportunités pour constamment me retrouver sur le bord de la falaise avec tous les challenges, peurs et ouvertures que cela peut inclure, sans rester figée dans une seule vision. C’est une façon de toujours me purifier pour rester humble dans mes questionnements et mes apprentissages. Le Ghana était mon premier grand voyage solo et ma première claque. J’avais à peine 18 ans et je voulais aider le monde à travers la politique. Je suis rentrée autant confuse par les mensonges de la réalité, qu’éveillée par tous les nouveaux spectres dont j’avais l’impression qu’ils m’avaient été cachés jusque là. C’est au Ghana que l’intérêt de m’immerger dans une expression non-verbale, universelle et incluante, s’est déclenché. Le besoin de toujours m’émouvoir était initialement un désir d’éloignement de quelque chose qui s’est manifesté être également ce que je souhaitais fuir pendant mes voyages : l’enracinement. Aujourd’hui, le voyage est constant, il ne s’agit pas d’une fuite, mais d’une avancée indispensable à faire.
B!B! : Peux-tu nous parler de ta série The Last Wedding ?
Rebecka : En avril de cette année j’ai rêvé que j’avais une exposition en France intitulée The Last Wedding. Pendant un mois je passais mon temps à faire des recherches sur le sens de ce titre sous tous les angles possibles pour y voir un peu plus clair. Je dors les yeux grands ouverts avec mes monstres depuis plus d’un an. Pour les voir clairement, je dois avancer à tâtons dans un endroit attirant et dense, avec l’espoir perdu de revoir à nouveau la lumière. Je rouvre ces portes régulièrement pour me rappeler des choses dont je me rends (in)consciemment aveugle, mais je pense avoir serré la main de la plupart de ces monstres, terrifiants, dégueulasses, absurdes et déroutants. Finalement, The Last Wedding c’est ça : le vrai et dernier mariage avec moi-même. Une tentative d’approche pour comprendre le lien qui unit les choses, dont la seule réponse récurrente que j’ai pu trouver est l’amour. Le dernier et le plus gros de mes monstres. Pour lui serrer la main, je me suis confrontée dans un espace inconscient où les questions sont nombreuses, et les réponses rares. Il faut accepter le fait que je ne pourrai rien comprendre, je dois seulement m’y résigner. L’abandon me donne envie de pleurer. Il n’y a pas d’arc-en-ciel dans mon cœur sans l’eau dans mes yeux. Je n’ai pas encore été capable de serrer la main de ce monstre. Mon travail n’a pas uniquement pour sujet celui de ma propre union [ndlr. du mariage avec moi-même] mais il reflète un concept plus large, la question de l’alignement. Je ne comprendrai jamais ce que c’est réellement mais je ne cesserai d’en tirer des leçons. C’est comme une petite manifestation de la protection, la puissance, qui m’encourage à comprendre le pouvoir des ombres. Reconnaître ces pouvoirs m’aide à éliminer la peur de l’obscurité et de l’inconnu. Dans ce monde absurde et grotesque poussent quand même encore des arbres magnifiques. Je suis heureuse d’enfin pouvoir partager mes leçons, ressentiments, peurs et incompréhensions à travers environ soixante dessins, une série de céramiques avec une amie de l’atelier, Hedvig Bergman, et une vidéo.
B!B!: Quelles influences nourrissent tes illustrations ?
Rebecka : Ce que je ne comprends pas ou ce qui m’est invisible représente mes réelles influences. Mon grand-père suédois, John, est aussi une grande influence pour moi. Cela m’arrive d’observer des peintures de la Renaissance pour me pousser dans la technique, mais ce n’est pas quelque chose qui m’inspire.
B!B! : Pourquoi ce choix unique du noir et blanc ?
Rebecka : La technique du crayon et du fusain est celle qui fut la plus facile à comprendre et que j’ai par conséquent pu appliquer pour exprimer quelque chose d’incompréhensible. Les couleurs sont merveilleuses, c’est une technique en soi qui me fascine mais qui reste un mystère.
B!B! : Pourquoi l’enfance est-elle très présente dans tes oeuvres ?
Rebecka : L’enfance est la seule source capable de réminiscence et de réponses. J’essaye de réveiller cette partie en moi, en nous, pour que la conversation reste intègre.
B!B! : Quels sont les thèmes que tu souhaites aborder dans ton travail ?
Rebecka : Je ne sais pas pourquoi je dessine. J’ai pendant toutes ces années essayé de comprendre et formuler avec des mots mon travail afin de présenter une jolie hypothèse. Mais tous ces mondes et toutes ces émotions qui se sont ouverts à moi, à contempler, sentir et partager grâce au dessin sont une conviction suffisante pour continuer à fouiller dans le noir.
B!B! : Ces illustrations naissent-elles d’expériences personnelles ?
Rebecka : Autant je reste fascinée et motivée par les opportunités et développements que mon corps et mes sens puissent traverser grâce à cette forme d’expression, autant je suis peu motivée par l’essai de comprendre et encadrer ces expériences. À la fois, je ne me suis jamais physiquement retrouvée comme un bébé, étouffée par des roses noires sur un lit, ni avec le pied dévoré par des fourmis en observant un chat noir manger ces fourmis [ndlr. référence aux sujets de ses dessins]. Mais par contre, j’ai ressenti le sentiment que ces anecdotes me procurent. Alors les idées de ces images qui naissent en moi, en travaillant ou en dormant, ne me surprennent pas.
B!B! : Quelle est la série ou l’illustration qui te tient le plus à coeur ?
Rebecka : The Mourning Dove que j’ai réalisé en rentrant à Stockholm pour une exposition à Bruxelles, l’année dernière. C’était la première fois que j’avais pu produire sur ma terre maternelle, et j’ai osé pousser ma technique et ma façon de procéder d’une manière à la fois brutale et harmonieuse basée uniquement sur mon propre état d’esprit à cet instant. La série reflète tous mes secrets.
B!B! : Un projet à venir ?
Rebecka : En janvier 2020, j’aurai ma première et plus grande exposition personnelle, The Last Wedding, à Paris sur les quatre étages de la galerie Arts Factory. Trois livres vont sortir pour l’exposition chez les maison d’édition de Ripopée, 476 et Arts Factory. Ensuite, nous continuons d’exposer et travailler nos projets et collaboration avec La Junte en Suède. En parallèle à cette une phase intense de production, je travaille aussi d’autres médiums pour rester éveillée. Ce printemps, j’ai entre autres un nouveau projet de film à monter et de la musique à terminer. Je pars en Islande fin 2020 en résidence. Il me reste des surprises excitantes à découvrir.
B!B! : Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions issues du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées :
B!B! : Quel artiste aimerais-tu rencontrer de son vivant ?
Hilma af Klint.
B!B! : Ta qualité chez une personne ?
La présence.
B!B! : Ta chanson du moment ?
Pink Floyd – The great gig in the sky
B!B! : Ton peintre préféré ?
Henry Darger.
B!B! : Quel don aimerais-tu avoir ?
L’hypnose, ou le fait de pouvoir reproduire l’eau avec mes mains.
B!B! : Ton idée du bonheur ?
Reconnaissance.
B!B! : Un poète ?
Madame Blavatsky.
B!B! : Si tu devais changer de métier, lequel ?
Fermière, ou « prêtre ».
B!B! : Comment souhaites-tu mourir ?
Surprise par la manière, fascinée par le moment.
B!B! : Et pour finir si je te dis « Boum! Bang! », tu me dis?
Un crush que j’ai eu il y a quelques années.