La cathédrale émotionnelle de Pauline Canavesio est multi-dimensionnelle/ multi-morphique, elle est magique, elle n’a pas peur de tout ce qu’elle peut être, de toutes les formes qu’elle peut incarner ni de toutes les voix qu’elle peut prendre. Son travail est tentaculaire, puisant ses inspirations dans une multitude de références et de médiums : musique, performance, peinture, digital, vidéo, sculpture et installation. Tant qu’il est question de corps, d’identité et d’intimité. Ainsi, elle érige solidement les murs de sa cathédrale, toujours plus haute, toujours plus riche. Cette multi-disciplinarité lui permet d’agir sur tous les sens et c’est cette liberté-là qui lui donne une puissance ecclésiastique.

Pauline Canavesio, yeux marrons, teint mate, cheveux noirs, viande rouge.

Pauline Canavesio, Humanthisrt, exposition collaborative avec l’artiste Jan Durina, Acud Galerie, Berlin, 2020

Au-delà d’apprivoiser son corps à elle au rythme des performances, celui des autres est aussi au centre de son travail. L’artiste façonne ses secondes peaux. Elles sont les traces d’une rencontre, d’un corps à corps spirituel.

« Nos chairs se mirent en écho » (1)

Comme la cire coule sensuellement sur la bougie, comme le flash vient figer la figure, Pauline laisse s’écouler le silicone sur la peau ou entoure le corps avec son téléphone portable. Le corps, le cœur, les formes. Le plastique ou le scan vient capturer le moment, le tégument, ses viscosités humides, sèches. Dans la chair il n’y a plus d’os, il n’y a plus que l’empreinte : celle de la peau, de ses marques, de ses cicatrices inscrites et de ses douleurs invisibles. Le vivant comme on  évite parfois de le voir. Un pacte entre l’eau et le feu : des ces regards ardents, il en pleure des rivières,  your eyes rivers, rivers in your eyes.

Le temps passé à manipuler les matières, à enduire les corps, les minutes et les heures passées à attendre que ça sèche, que ça fige ; toute cette chimie prend place dans son atelier, la nuit, dans un état presque méditatif. S’étalent sur les heures, dans le calme, les minutes à colorer le plastique, à peindre le corps digital, à rosir les joues, à repoiler les pores, à rendre l’anti-peau plus charnelle que nature.

Entre douces manipulations et performances transcendentales il n’y a qu’un pas. Ces rituels immergés sont complémentaires aux représentations endiablées de l’artiste.

Pauline Canavesio, Soft pain, extrait d’une pièce audiovisuelle, 2020
Pauline Canavesio, Humanthisrt, exposition collaborative avec l’artiste Jan Durina, Acud Galerie, Berlin, 2020

Sur la table,
Pleins de matières, pleins de tissus, pleins de couleurs ;
Suspendues à des cintres pleins de secondes peaux ;
Accrochées aux murs, pleins de toiles,
Allumés sur l’ordinateur, pleins de corps.
Sur l’étal,
Au touché, du bout des doigts, c’est gluant, presque visqueux.
Au creux de l’oreille,
Une chanson douce,

Une chanson douce dont l’artiste est la créatrice, performeuse sonore, elle se confine dans des salles noires aux lumières rouges, bleues, cela dépend de son humeur, de ses lubies, de ses phobies. Elle pose sa voix délicate sur les sons vrombissants, entre vocalises, chants du corps et violentes harmonies.

Pauline ou Bora nous envoûte dans son univers métamorphique. Lors de ses performances nous assistons à sa métamorphose. Proche de la transe ou du sabbat, elle prend une voix sortie des tripes sous le vrombissement des baffes et au ressenti se lance à corps perdu dans une danse, au milieu d’un public converti. Dans la pénombre sous la fumée, nous distinguons des bras, à peine, des jambes, aussi ; on imagine des poils, mais on ne perçoit ni le visage alors recouvert d’un masque, ni sa propre chair sous la seconde peau façonnée au préalable dont les ornements coulent sur son corps presque nu. Ce qu’elle revêt est comme une extension de son épiderme, il devient son propre profil, il est la personne qu’elle n’est pas. Ici il n’est pas question de transformation fantastique ou de sci-fi. C’est une mutation du corps quotidien, de son propre corps vers l’humain censuré, l’humain réprimé. L’artiste donne corps et voix aux autres dimensions d’elle-même poussées dans un extrême esthétique, carné, prenant alors la forme physique de tout ce qu’elle ne peut pas se permettre d’être. Il est comme la sève sous l’écorce, comme le miel dans la ruche, comme le diamant intérieur brut.

Pauline Canavesio, This is our day Jade, extrait d’une pièce audiovisuelle, 2020
Pauline Canavesio, Humanthisrt, exposition collaborative avec l’artiste Jan Durina, Acud Galerie, Berlin, 2020

Sur la table,
bouts de peau,
yeux fermés, cils collés, joues rosées
Sur l’étal,
miroirs brisés,
larmes qui coulent, diamants bruts
Sur la table,
une mâchoire,
un doigt, une bouche ouverte, un poisson d’argent
Sur l’étal,
des secrets,
Des poèmes d’amour, des chagrins indigestes,
Ces mots, sa prophétie
Tentaculaire, salivaire, sanguinaire :

« I have a body, a sonic body. I fell body memories, sounds. My body is a medium to live. The first to perceive what I cannot see inside. I’m consuming virulent emotions. I eat them raw. I swallow them. Sometimes four at once. anger, rage in my breast. Nostalgic flashes roaming my spine. You, still in my left ventricle. My vagina chants a heartache manifesto. Emotional pregnancy. Gestation. violent Secret. Words. In my stomach, compulsive loss. Emptiness, arousing my skin. I feel you, in every particle. In every molecule epidermis catharsis. Apprehensive palpation. Love traces. Antarctic traversing my neck. I am an emotional cathedral. » (1)

Pauline Canavesio, To you and your angel, huile sur toile, 110cmx170cm, 2019
Pauline Canavesio, Larmes de mon ciel, huile sur toile, 110cmx170cm, 2019
Pauline Canavesio, Délier c’est comme esquisser l’absolu, empreinte de corps sur silicone, 2019
Pauline Canavesio, Your eyes, rivers. Rivers in your eyes, sculpture, 2020
Pauline Canavesio, cracheuse de poisson, silicone, sculpture 3D, métal, 2020
Pauline Canavesio, Ma cathédrale, oeuvre digitale, 2020
Pauline Canavesio, Humanthisrt, exposition collaborative avec l’artiste Jan Durina, Acud Galerie, Berlin, 2020
Pauline Canavesio, Extrait de l’oeuvre audiovisuelle “HMN RCHTCTR”, architecture humaine, 2019

(1) : propos de l’artiste

“J’ai un corps, un corps sonique. Je suis tombée sur des souvenirs corporels, des sons. Mon corps est un moyen de vivre. Le premier à percevoir ce que je ne peux pas voir à l’intérieur. Je consomme des émotions virulentes. Je les mange crues. Je les avale. Parfois quatre à la fois. Colère, rage dans mon sein. Des éclairs nostalgiques parcourent ma colonne vertébrale. Toi, toujours dans mon ventricule gauche. Mon vagin chante un manifeste de chagrin d’amour. Grossesse émotionnelle. Gestation. Secret violent. Mots. Dans mon estomac, perte compulsive. Vide, excitant ma peau. Je te sens, dans chaque particule. Dans chaque molécule, catharsis de l’épiderme. Palpation d’appréhension. Traces d’amour. Antarctique traversant mon cou. Je suis une cathédrale d’émotions.”