Un entretien Boum! Bang!

Le photographe allemand Patrik Budenz décide, entre 2007 et 2011, d’explorer la morgue de Berlin pour réaliser deux séries intitulées «Post-Mortem » et « Search For Evidence ». Des documentaires photographiques qui ont donné lieu par la suite aux livres « Questions médico-légales: dans les coulisses de la médecine légale » et « Post-Mortem ». La première série, accompagne le corps dans ses derniers instants pour montrer ce qui est habituellement caché. La seconde, cherche à déceler le vrai visage de ceux qui travaillent avec la mort. Toutes ces images dévoilent le cheminement de l’instant où le cadavre est confié aux professionnels jusqu’à l’enterrement. Saisissantes, ses photographies exposent sans restriction le cadavre. Les visages sont dissimulés mais les détails sont divulgués: peaux ridées, torses béants, cicatrices, marres de sang ou encore tranches de cerveaux. Une démarche qui présente un témoignage macabre, particulier mais captivant sur le devenir du corps mort et les personnes en contact permanent avec les cadavres. L’intention de Patrik Budenz n’est pas de raconter l’histoire de vie d’une personne. Il souhaite uniquement se concentrer sur le travail autour de la matière cadavérique du personnel judiciaire et médico-légal.

Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©

B!B!: Patrik, est-ce que tu peux te présenter rapidement pour les lecteurs de Boum! Bang!?

Patrik: Je suis né en 1971 et je vis actuellement à Berlin, j’ai étudié la technologie de l’information et de la communication, et j’ai commencé la photographie, puis j’ai eu envie de l’étudier plus précisément. Maintenant je travaille en tant que photographe indépendant et également ingénieur informaticien.

B!B!:Comment les séries photographiques « Post Mortem » et « Search For Evidence » ont-elles vu le jour? Est-ce une démarche uniquement professionnelle ou très personnelle?

Patrik: Les deux séries sont très personnelles. L’histoire a commencé vers 2007, un soir où je regardais la télévision, et que sur la chaîne il y avait la série policière habituelle, « Les Experts ». Alors que je voyais les soi-disant « enquêteurs judiciaires » en train d’examiner les cadavres, dans une salle éclairée par des néons, et de diagnostiquer la cause de la mort après un rapide coup d’œil, j’ai commencé à me demander ce que la médecine légale était réellement. L’idée de « Search for Evidence » est née à ce moment précis. J’ai réussi à convaincre le directeur de la médecine légale de Berlin de me laisser entrer dans les coulisses de la morgue. À l’origine, nous avions prévu que je ne pourrais y rester que quelques jours – j’ai fini par y aller pendant quatre années avant d’y retourner régulièrement et de travailler par la suite pour la série « Search for Evidence ». Mon idée pour la série était de me concentrer sur le rôle des médecins légistes et leur espace de travail, contrairement aux clichés télévisuels. Comme les médecins légistes travaillent sur et avec les cadavres, je ne pouvais pas m’empêcher au cours de cette période de réfléchir et de lire beaucoup de choses sur la mort. Petit à petit, l’idée a évolué pour créer un deuxième travail portant sur la mort elle-même. Je voulais montrer ce qui arrive au corps après le décès des gens – surtout au sein de la morgue et dans d’autres endroits. Pour moi, « Post Mortem » est un travail beaucoup plus personnel, et il est plus subjectif dans le but, puisqu’il présente mon approche personnelle de la mort.

B!B!:Quelles sont les réactions des spectateurs face à ton travail photographique sur la mort?

Patrik: En général, les gens réagissent de manière très positive. Dans un premier temps, ils ont souvent peur de regarder les photographies – bien sûr on ne se sent pas à l’aise lorsque l’on est confronté à la mort. Après avoir vu mes images, les gens viennent parfois me parler de leurs ressentis quand ils ont connu la perte d’un proche. Pour moi, ce sont des moments très particuliers, et je pense que c’est une véritable appréciation de mon travail. Peu de gens jugent ces images inappropriées pour une exposition en public.

Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©

B!B!:Tu te considères plus comme un artiste ou un photoreporter?

Patrik: Ni l’un ni l’autre. Je ne suis pas fan d’une pensée stéréotypée. Mais si je devais décrire mon travail, je dirai qu’il se présente comme une sorte de photographie documentaire.

B!B!:Quels sont les artistes qui t’influencent?

Patrik: Je ne sais pas s’il y a véritablement des artistes en particulier qui m’ont influencé parce que je regarde régulièrement des photographies, et j’ai également collecté de nombreux livres sur la photographie. Donc, je pense qu’il y a tellement d’influences, que je ne peux même pas choisir certaines d’entres elles.

B!B!:Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta relation avec la mort?

Patrik: J’aime la vie. La mort n’est ni romantique, ni terrible: c’est juste un fait de la vie. Personnellement, je ne veux pas mourir mais je ne peux rien contre cela. Cependant, dans les sociétés modernes, la mort et les mourants sont exclus à la vue du public et sont un sujet tabou. Je pense que cela est un véritable manque de sensibilité – nous allons tous mourir, il est important de se confronter à cette réalité et de réfléchir à ce qu’elle est.

B!B!:Tes photographies ne nous montrent qu’une partie de ce que peut être l’atmosphère d’un tel lieu, en tant que photographe tu as vu beaucoup plus. Comment peut-on se préparer à un tel défi?

Patrik: Avant, je m’étais préparé minutieusement par la lecture de livres à la fois sur la médecine légale et sur le cadavre photographié. De plus, le personnel des lieux m’a beaucoup aidé, ils m’ont tout expliqué, ce qu’ils font, comment et pourquoi ils le font. Cela aide beaucoup, si vous comprenez vraiment ce que vous voyez. Après quelque temps, on s’habitue à cet environnement. Cependant, il y a toujours des situations auxquelles rien ne peut vous préparer, qui vous frappent émotionnellement et de manière extrêmement brutale.

B!B!:Peux-tu nous expliquer un peu le déroulement du shooting avec un cadavre? Emotionnellement, ce n’est pas difficile de côtoyer tous ces corps morts? 

Patrik: Le problème n’est pas le processus de la prise de vue, mais ce qui vient après. Pendant la prise de vue, il n’y a aucune différence sur le fait de prendre en photo un corps mort ou vivant. Je regarde la scène, les actions et j’essaie de trouver les images que je souhaite réaliser. Heureusement, j’ai été autorisé à me déplacer sans aucunes restrictions à tous les endroits où je prenais des photos, donc il n’y a vraiment aucune différence d’un point de vue photographique. Cependant, après la prise de vue, je devais beaucoup plus penser sur les photos que j’avais prises – contrairement à d’autres sujets. Il était donc très important pour moi d’avoir des gens proches comme ma famille et mes amis à qui je pouvais parler de ce que j’avais vu et ressenti. D’une certaine manière, j’ai imposé la vie sur la mort.

Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©
Patrik Budenz, Post-Mortem
Patrik Budenz, Post-Mortem ©

B!B!:Le cadavre est-il uniquement esthétique ou tu tentes surtout de transmettre un message à travers tes photographies?

Patrik: Bien sûr, chaque photographe travaille avec des principes esthétiques. Toutefois, si vous regardez mon travail, vous verrez que tout est question de message. Je choisis l’esthétique afin de diffuser le message.

B!B!:Peux-tu nous parler des lois et des démarches à respecter quand tu photographies un cadavre? 

Patrik: Plus important encore, il y a des droits personnels sur les sujets que j’ai photographiés – à la fois des médecins légistes, mais aussi des personnes décédées. Pour le personnel médical, il était assez facile – je pouvais simplement leur demander. Pour les morts, c’était différent – je ne pouvais pas leur demander. En Allemagne, les morts possèdent encore des droits. Donc je les ai photographiés pour qu’ils ne puissent pas être identifiés.

B!B!:Cacher ces visages morts ce n’est pas également ce que tu recherches dans ta démarche? 

Patrik: Le point important pour moi était mon sujet – et pour cela, montrer les visages n’était pas nécessaire: « Search For Evidence » se concentre sur le travail du personnel judiciaire, et non sur les personnes décédées. « Post Mortem » présente ce qui se passe sur le corps mort. Dans les deux cas, les personnes ne sont pas le point révélateur et ce n’était pas mon intention de raconter l’histoire de ces gens.

B!B!:Avais-tu une idée précise du résultat de ton travail avant de te rendre à la morgue de Berlin?

Patrik: Avant de commencer à prendre des photographies, je développe un concept général de ce que je veux photographier et comment je veux le photographier. Par exemple, j’ai décidé tout de suite que je voulais faire « Search for Evidence » en noir et blanc. Cependant, ce n’est qu’une ligne directrice fixe, mes sujets évoluent lentement au cours de ma démarche artistique. Je réagis à mon environnement et à ce que je vois. J’ai travaillé près de quatre ans sur les deux séries, c’est un long délai dans lequel le résultat final se développe lentement.

B!B!:Quelle photographie trouves-tu la plus pertinente dans tes deux séries?

Patrik: Bien sûr, il y a des images fortes et plus importantes dans chacune de ces séries. Cependant, pour moi, l’histoire des séries est importante dans sa globalité. Toutes les photographies ont un rapport entres elles. C’est pourquoi je ne peux pas en choisir une en particulier.

B!B!:Travailler aussi proche de la mort et des cadavres, cela a-t-il changé quelque chose dans ta perception de la vie? 

Patrik: C’est difficile à dire. Je vis intensément la vie. J’aime rire, j’aime la bonne nourriture, j’aime voyager, j’aime m’amuser. Mais ce sont des comportements que j’ai déjà fait avant de prendre ses photos, peut-être que maintenant j’aimerai en faire un peu plus…

B!B!:Un projet en cours?

Patrik: Depuis trois ans, je réalise un documentaire sur le quotidien au sein d’une caserne de pompiers à Berlin. Et actuellement je travaille sur une série à propos des arts martiaux, en particulier sur la Boxe Thaï.

Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©
Patrik Budenz, Search For Evidence
Patrik Budenz, Search For Evidence ©

B!B!:Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions issues du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées:

B!B!: Un photographe préféré?

Patrik: W. Eugene Smith, Larry Fink.

B!B!:Un livre préféré?

Patrik: « Satellites » de Jonas Bendiksen. J’ai récemment acheté « Black Passport » de Stanley Greene, et j’ai été profondément impressionné, les deux sont des livres de photos.

B!B!:Ta chanson du moment?

Patrik: « Dream Aid » de Haujobb.

B!B!:Un artiste que tu souhaites rencontrer de son vivant? 

Patrik: Je ne sais pas…

B!B!:Un autre métier que tu souhaites faire?

Patrik: Heureusement, j’ai la chance de faire les deux méteirs que j’ai toujours voulu avoir.

B!B!:Ton idée du bonheur?

Patrik: Des bons amis, de la bonne nourriture, de la bonne musique, et avoir la possibilité de voyager dans le monde.

B!B!:Ton idée de la misère?

Patrik: Un hiver froid.

B!B!:Comment souhaites-tu mourir?

Patrik: Vieux, tomber de fatigue et mourir.

B!B!: Et pour terminer, si je te dis Boum! Bang!, tu me dis?

Patrik: Oh! Une autre personne morte à photographier.