La peinture de Pascal Mouisset ne pose ni la question du sujet ni la question de la forme, mais celle de l’instant – l’instant décisif, aurait dit Henri Cartier-Bresson.

Mais qu’est-ce que cela peut vouloir dire en peinture « l’instant » ?

Pascal Mouisset, <em>Bégaiements</em>, série de photographies en collaboration avec Guillaume Belveze, 2019.
Pascal Mouisset, Bégaiements, série de photographies en collaboration avec Guillaume Belveze, 2019.
Pascal Mouisset, <em>Embrasser avec délicatesse et sincérité</em>, huile sur toile, 130 x 160 cm, 2018-19.
Pascal Mouisset, Embrasser avec délicatesse et sincérité, huile sur toile, 130 x 160 cm, 2018-19.
Pascal Mouisset, Aux Eclats, video, 5'16, 2019.
Pascal Mouisset, Aux Eclats, video, 5’16, 2019.
Pascal Mouisset, <em>Embrasser avec délicatesse et sincérité</em>, huile sur toile, 130 x 160 cm, 2018-19.
Pascal Mouisset, Embrasser avec délicatesse et sincérité, huile sur toile, 130 x 160 cm, 2018-19.
Pascal Mouisset, <em>Aux Eclats</em>, vue d'exposition, 2019.
Pascal Mouisset, Aux Eclats, vue d’exposition, 2019.

Cela veut dire que dans la déferlante d’images qui caractérise nos quotidiens Pascal Mouisset ne cherche pas à en ajouter ou à en retenir, mais à voir et conserver ce voir. La peinture est chez lui le réceptacle d’une sensation, une délicatesse, un éclat, une ombre. Il s’agit d’une forme de prise de conscience dont la peinture prend acte.

« ce temps a eu une importance »
« ce temps a une importance »
« ce temps demeure important »

Peindre donne alors aux tableaux la qualité d’une vision ; eux-mêmes ont vu. Et dans l’aveuglement de la vision l’artiste opère un ralentissement tel que le calme s’impose. Face aux tableaux s’ouvre un silence proche de celui que l’on ressent la nuit, entré seul dans une voiture une fois la portière claquée : un silence qui referme le temps sur les bruits extérieurs tout en laissant paraître les flashs lumineux des phares et des enseignes fluorescentes, peu à peu adoucis par l’écrasement que provoque le pare-brise.

Mais la peinture n’est pas tout, et d’une certaine manière elle suffit rarement. Pascal Mouisset n’est pas naïf, il sait trop bien l’importance du contexte et des dispositifs pour laisser le hasard manger l’instant comme il le fait, 10 fois, 100 fois, 1 000 fois par jour. Ses tableaux, l’artiste tient à ne pas les laisser seuls. Il les veut préservés dans cette conscience de l’instant devenue chimérique. Ainsi, la délicatesse qu’il appelle dans ses titres n’est pas pour ceux qui regardent son travail, mais pour le travail lui-même. C’est avec les œuvres qu’il faut être délicat, elles qu’il faut choisir de prendre avec sincérité. Pour cela les tableaux revêtent des garde-corps, avancent sur des roulettes, ou encore, cachent leurs reflets derrière ceux d’une vitre. Ils sont dans la vie comme la vie est avec eux, paradoxalement aussi barricadés que mis en danger. Le comble enfin, il lui arrive de ne pas montrer ses tableaux mais simplement des photographies des tableaux tirées à l’échelle, telles des vanités face à l’abîme où plonge le regard quand il ne sait pas qu’il est presque toujours la dupe de sa propre perfection. Autant d’artifices qui mettent une distance entre l’observateur et le tableau, mais cette distance est toujours une distance annoncée et bien visible, elle n’a d’autre objectif que de forcer le regard à prendre conscience de lui-même.

D’une certaine manière on pourrait presque dire que la peinture de Pascal Mouisset glisse. Elle glisse et se répand – elle fuit. Les images qu’elle laisse voir à sa surface ne disent pas autre chose. Elles semblent toujours un peu noyées, troublées par la matière même de la peinture que l’on s’imagine volontiers être sur le point de s’échapper, telle l’eau au fond d’un évier au moment où l’on en retire la bonde : fleurs, reflets d’éclairages, objets entassés, néons et autres réminiscences aqueuses et éclectiques vont sous peu passer l’étranglement du goulot qu’une main distraite vient d’ouvrir – sans même y penser –, sans même se poser la question de ce qui disparaissait, sans un instant songer que pour les voir, et c’est trop tard, il fallait être là au bon moment, pas avant, pas après.

Qu’importe alors le sujet ou la forme, l’instant est maître. Un maître fragile pourtant, et c’est cela qui donne toute sa beauté à la durée que l’on consacre – ou non – aux tableaux de Pascal Mouisset.

Pascal Mouisset, <em>Aux Eclats</em>, huile sur papier, 110 x 130 cm, 2018-19.
Pascal Mouisset, Aux Eclats, huile sur papier, 110 x 130 cm, 2018-19.
Pascal Mouisset, <em>Fi Dounia</em>, huile sur toile, 40 x (80 x 100 cm), projet pour les Petites Serres, 2017-18.
Pascal Mouisset, Fi Dounia, huile sur toile, 40 x (80 x 100 cm), projet pour les Petites Serres, 2017-18.
Pascal Mouisset, <em>L'Ombrée</em>, huile sur toile, 4 x (80 x 100 cm), 2017.
Pascal Mouisset, L’Ombrée, huile sur toile, 4 x (80 x 100 cm), 2017.