Pablo Tomek
Desseins de salut ou multiples possibilités d’infestation ?
Deux destins rendus syntaxiquement disjonctifs, sauvés par l’intrusion présente d’une conjonction copulative. La démarche de Pablo Tomek transforme l’obligation de l’autre-que-soi en élisant le double comme condition subversive intrinsèque.
Peintre, sculpteur, photographe et à nouveau peintre, il double les coordonnées du geste pictural en reconnaissant sa source d’inspiration majeure dans la puissance expressive des pratiques ouvrières. L’artiste dévoile un théâtre urbain dont le rideau rouge Wagner cède à la couleur achromatique sans abdiquer sa fonction.
Coulées de lave de Blanc de Meudon dégoulinent des bouches poreuses d’éponges vouées au nettoyage industriel ; corps liquides déambulent sur les surfaces vitreuses des chantiers, complices de la main de l’artiste, reproduisant motifs dont la descendance abstraite n’est qu’apparente. Ce ne sont pas des prétextes figuratifs, au contraire, ce sont des sujets tout court, garants de la vérité d’un langage corrosif qui redéfinit la morphologie compositionnelle des œuvres de Tomek. Lorsque la peinture se mélange à l’eau, poursuivant son motus descendant, Pablo Tomek restitue à la terre la violence réparatrice – parfois possible – du contemporain : un nettoyeur haute pression Kärcher devient instrument d’ablation des couches de peinture encore humides.
Dans le cadre d’une pratique de superposition, d’effacement, de stratification et de désintégration, Pablo Tomek remet la peinture à l’état précaire, celui congénital au monde et à la probabilité. Il ne s’agit en aucun cas d’une menace, plutôt d’une métaphore contemplative. Pourtant, la deuxième peut subtilement contenir la première.
Quand est-ce que quelque chose qui peut potentiellement représenter un danger ou une menace, comme dans ce cas la précarité, ne le représente plus? Une menace peut-elle cesser d’être une menace ?
Par exemple lorsqu’elle génère, par la tension qu’elle convoque, nouveaux liens de parenté et interroge les multiples du réel. D’une certaine manière, Tomek, assassine le sens dominant par le biais d’une régénération au monde des signifiants. Je me dis alors que Debord ne se trompe pas lorsqu’il pense que la condition de survie de l’art est corrélée à sa capacité de bouleversement. Autrement c’est le néant.
Ce sont les phases mystiques de la ville qu’il vit, à déambuler, traçant une cartographie de l’obsolescence re-programmée ; expéditions urbaines hypermétropes, celles de Pablo Tomek, qui délocalise et reconfigure la fonction du déchet dans un processus de dérive et de détournement à l’arrière-goût situationniste.
Une dévotion à la marge, au résidu, à tout ce qui n’est plus contemplé ou contemplable : la biologie de la fonction commence et se termine par l’utilité. Or, l’inéluctabilité et le déchet partagent la limite comme dimension conceptuelle là où la rue, mère involontaire et incontestable de la démarche de Tomek, perpétue un principe d’aléas qui permet de repenser le rapport à l’image privilégiant la fracture, la lacération, la crise, l’effacement, tout en désacralisant les taux d’approbation.
Tout ce qui appartient à la rue, les abusivismes, les détritus, les graffitis, entretiennent une relation subversive avec les espaces et l’architecture. La finalité ornementale renforçant l’ordre préétabli, reste une maigre consolation face aux anarchies de la rue.
C’est une auto-combustion, celle décorative, sur laquelle s’imposent les incursions, les dérives, les dépassements.
Et c’est dans ce moment de renversement que je retrouve le reste infini que Derrida confie à un quasi-concept. Et voilà, la Restance, là où les identités n’existent pas sans leurs fragments résiduels, où la survie est assurée par la contamination de l’altérité. Le déchet divise alors une parcelle de vérité avec du mortier, de l’acrylique, dans un geste qui échappe à la circularité mais non à l’itération et à l’altération de l’image, délibérément déployée par Tomek.
La structure de la restance, impliquant l’altération, rend finalement impossible toute permanence absolue.
Heureusement il en reste le droit naturel à une autonomie d’infestation et un accord tacite de rédemption.