Qui eût cru que la publicité pouvait faire bon ménage avec l’activisme politique?
Inaugurée mercredi dernier, la nouvelle campagne Benetton ne laisse pas indifférent. Sur le principe du fameux baiser de Kroutchev et Honecker sur l’East Side Gallery à Berlin, on y voit Benoît XVI embrassant passionnémentMohamed Ahmed Tayeb, l’imam de la mosquée Al Azhar, Barack Obama bécotant Hugo Chavez et Nicolas Sarkozy en duo avec Angela Merkel. Double publicité : pour la marque italienne et pour la fondation humanitaire UnHate, les photomontages ont provoqué notamment l’indignation du Vatican, qui a obtenu que cette image ne soit pas diffusée.
© United Colors of Benetton, UnHate
© United Colors of Benetton, UnHate
© United Colors of Benetton, UnHate
© United Colors of Benetton, UnHate
© United Colors of Benetton, UnHate
Cette récente provocation est pour Benetton une manière de renouer avec le ton sulfureux de ses campagnes des années 1990, orchestrées par deux immenses figures de l’histoire de la publicité et du graphisme : Oliviero Toscani et Tibor Kalman. Ces géniaux directeurs artistiques ont conçu de toutes pièces une identité de marque pour ces vêtements prêt-à-porter au fond sans grand intérêt. Leur arme, inattendue en publicité, l’activisme politique. En prenant au sens figuré le concept de la marque : des vêtements disponibles dans toutes les couleurs, l’image Benetton chante le multiculturalisme, la beauté de la diversité, l’universalité de l’amour, de la procréation et de l’enfance. Ce qui a vraiment choqué le public de l’époque peut passer aujourd’hui pour un humanisme un peu simplet. La preuve qu’Oliviero Toscani et Tibor Kalman n’ont pas seulement fait un excellent travail de publicitaires (Benetton ne serait sans doute plus rien sans leur travail), ils ont marqué l’imaginaire collectif et les mentalités de toute une génération.
Oliviero Toscani a travaillé de 1982 à 2001 comme photographe pour Benetton. C’est à lui que l’on doit la plupart des campagnes des années 1990, selon un schéma très constant : une idée photographique, généralement basée sur le contraste, le clash, sur laquelle on appose le rectangle vert Benetton. Et rien d’autre. Pas de slogan, pas de légende. Une pratique qui témoigne de sa formation à la Hochschule für Gestaltung de Zürich où s’est formé ce qu’on appelle le « style suisse » ou « style international » en vogue dans les années 1960 : fond blanc, illustration photographique détourée, caractères typographiques sans serif. En 2001, suite au scandale provoqué par une campagne utilisant les portraits de condamnés à morts américains. il quittera Benetton mais poursuit encore aujourd’hui une carrière de photographe publicitaire.
Campagne Benetton, 1991 © Oliviero Toscani
Campagne Benetton, 1991 © Oliviero Toscani
Campagne Benetton, 1992 © Oliviero Toscani
Campagne Benetton, 1991 © Oliviero Toscani
Campagne Benetton, 1994 © Oliviero Toscani
Campagne Benetton, 1996 © Oliviero Toscani
Campagne Benetton, 1996 © Oliviero Toscani
Campagne Benetton, 2001 © Oliviero Toscani
Campagne Benetton, 2001 © Oliviero Toscani
Tibor Kalman (décédé en 1999), graphiste d’origine hongroise, émigré à New York dans les années 1950, a lui marqué l’histoire du graphisme en dirigeant les débuts du magazine Colors, publication promotionnelle de la marque Benetton, de 1991 à 1997. Ce magazine, qui parle, comme l’indique son sous-titre « du reste du monde », est une tribune pour les photographies d’Oliviero Toscani, et un résumé de l’image idéaliste et humaniste de Benetton. Tibor Kalman conçoit les génialissimes mises en pages du magazine, la disposition des images par rapport au texte, avec clins d’œil, humour et légereté. Le dernier numéro qu’il dirigera (Colors, issue #13 : No Words) est une collection de photographies sur tous les sujets, sans un mot, sans un texte, sans un caractère, à l’exception de la dernière double page (à découvrir ci-dessous).
Colors magazine, issue #1, It’s a baby, juillet 1991 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #1, It’s a baby, juillet 1991 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #1, It’s a baby, juillet 1991© Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #4, Race, juin 1993 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #4, Race, juin 1993 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #4, Race, juin 1993 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #4, Race, juin 1993 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #7, AIDS, juin 1994 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #7, AIDS, juin 1994 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #7, AIDS, juin 1994 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #7, AIDS, juin 1994 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #13, No Words, décembre 1995 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #13, No Words, décembre 1995 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #13, No Words, décembre 1995 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
Colors magazine, issue #13, No Words, décembre 1995 © Tibor Kalman, Oliviero Toscani, United Colors of Benetton
La dernière campagne de Benetton soulève à nouveau une question récurrente : Quelle peut être la portée politique d’une image? Une image vaut-elle un propos, un discours? Malcolm Barnard dans Graphic Design as Communication prend l’exemple de deux publicités Benetton pour montrer la multiplicité de significations que l’on peut donner à une image. Cette petite fille blonde, enlaçant un petit garçon noir représentent-ils le multiculturalisme ou reproduisent-il l’image traditionnelle de l’ange et du démon? Et que veulent dire ce poignet noir et ce poignet blanc menottés ensemble? Finalement, on peut accuser Benetton d’avoir soumis l’activisme politique à l’imagerie commerciale, où finissent toujours par triompher le gai, le beau, le léger. Cela ne retire en rien à Tibor Kalman et Oliviero Toscani leur talent pour créer des images à la fois puissantes et touchantes.