Un entretien Boum! Bang!
Dans ses peintures, Olivier Larivière aime nous perdre. Il nous invite à suivre des personnages mystérieux ou nous confronte à des scènes à la fois familières et mystérieuses. Énigme après énigme, ses toiles dessinent ce qui pourrait être une histoire, mais là n’est pas son seul plaisir car avant tout, cet artiste s’intéresse à l’image et aux images, celles qu’il peut trouver pendant ses recherches sur Internet comme celles que ses pinceaux peuvent faire surgir sur la toile.
B!B!: Olivier, pourrais-tu nous parler de ton parcours?
Olivier Larivière: Ma mère adorait l’art et les antiquités. Enfant, cela m’ennuyait beaucoup, mais je pense que ces heures passées avec elle devant les vitrines des galeries m’ont nourri. Comme j’aimais beaucoup dessiner et peindre, je suis rentré aux Beaux-arts de Rouen après le lycée. J’étais tout frais, je ne connaissais pas l’art contemporain. Petit à petit, mon regard a changé et mon travail aussi. J’ai ensuite intégré les Beaux-Arts de Paris puis les Arts Déco de Paris. J’y ai étudié le mobilier, le design, l’architecture, l’illustration, la photo, tout en conservant fermement ma volonté de devenir peintre. Je n’étais jamais tout à fait à ma place mais toutes ces formations ont été complémentaires. J’ai terminé mon cursus à la School of Visual Arts de New-York puis j’ai commencé à participer à des expositions et à des résidences dont une à Madrid et une à Berlin.
B!B!: Certaines rencontres t’ont-elles plus particulièrement marqué pendant cette époque?
Olivier Larivière: Oui, un de mes professeurs, Thierry Costesèque, m’a beaucoup influencé dans sa manière de concevoir une œuvre, une approche très directe guidée par la recherche de vitalité et d’énergie dans la peinture, loin des approches beaucoup plus cérébrales que l’on m’avait enseignées avant. Il y a aussi l’artiste Eric Fischl. J’ai réalisé un mémoire sur son travail. Il s’intéresse à des thématiques taboues et à des préoccupations de l’ordre de l’intime. Et c’est un peu comme ça que je pourrais définir mon travail, un questionnement sur l’homme ou la nature humaine d’une part, et sur ce que l’on peut dire en peinture, montrer ou pas, d’autre part.
B!B!: Quels autres artistes t’inspirent?
Olivier Larivière: Je crois me souvenir d’une interview où le peintre Miquel Barceló parlait d’une sorte d’arbre généalogique présentant ses pères spirituels en peinture. Je me suis moi-même questionné sur ma paternité. Je dirais: Diego Vélasquez, Edward Hopper, Frans Hals, Rembrandt et Édouard Manet. Puis, petit à petit, ma facture classique a évolué vers plus de réalisme. Dans ma dernière série « Nothing is Forever », je me sens plus proche d’un Gustave Courbet ou d’un Lucian Freud. Je m’intéresse également à des peintres actuels comme Michaël Borremans ou Luc Tuymans.
B!B!: Peux-tu nous dire quelques mots à propos de ta méthode et ta technique de travail?
Olivier Larivière: J’ai commencé à peindre en réalisant beaucoup de photographies. Ma série « Musée » (2002-2004) a ainsi pour point de départ un ensemble de photographies de visiteurs. Ce qui me plaisait dans cette démarche, c’était de travailler à partir de clichés pris sur le vif de personnes ne cherchant pas à s’auto-représenter. Aujourd’hui, je collecte des images sur Internet, des images d’ordre privé mais qui paradoxalement sont en accès libre. J’en collecte beaucoup pour au final n’en utiliser qu’une sur cent mais j’aime cette étape de recherche et de découverte. C’est une certaine forme de voyeurisme. Je les classe dans des dossiers avec autant d’ordre que de désordre: il y a le dossier « terrain vague », le dossier « soirées », le dossier « filles bourrées »… Ces images me servent à faire des photomontages, une sorte d’étape avant de peindre. Ensuite, rien n’est figé. Ma peinture avance, le photomontage peut évoluer en fonction d’elle, je peux y intégrer d’autres éléments voir même photographier ma toile et m’en servir pour faire à nouveau un montage.
B!B!: Pourquoi s’intéresser autant à ces images en « accès libre » sur Internet?
Olivier Larivière: Ce qui me plaît au départ, c’est que ces images avec lesquelles je vais travailler ne m’appartiennent pas. Ensuite, ce qui m’intéresse également, c’est le changement de statut de ces images qui avant d’être dans mes peintures sont là pour documenter un événement privé et ne sont pas conçues dans un dessein artistique. Ces images Internet sont également intéressantes car je les découvre débarrassées du contexte dans lequel elles ont été produites (lieux, temps, circonstances…) et je peux facilement les inclure dans une série où elles vont prendre un nouveau contexte. Aujourd’hui, dans mes œuvres les plus récentes, il y a moins ce travail de collage photographique. Je cherche à solliciter beaucoup plus le spectateur car mes peintures sont plus fragmentaires et plus frontales. À une autre époque, j’ai également expérimenté la narration dans mes peintures en suivant un principe d’association. Dans ma série de grands formats baptisée « Terrains Vagues », des numéros glissés sur la toile pouvaient amener le spectateur à se demander s’il existait un lien entre les toiles, un début et une fin d’histoire ainsi qu’une manière ou un ordre particulier pour les regarder. Une réflexion sur la conception cyclique ou linéaire du temps et un jeu de fausses pistes en quelque sorte avec comme thème principal un de mes sujets préférés: les terrains vagues.
B!B!: Justement, peux-tu nous parler de tes thèmes de prédilection?
Olivier Larivière: Il y a le terrain vague, un espace à la limite de la ville et de la campagne, sans aucune fonction. On se l’approprie pour un événement. Il peut s’y poser un cirque, une course… Et j’aime ce type d’espace sans identité, à la marge. D’autres éléments gravitent autour de cette idée d’opposé entre connu et inconnu, être et paraître: l’univers de la nuit en général avec ses enseignes lumineuses qui nous appellent et représentent pour moi une sorte de but inatteignable, la lune, éternel objet de fascination ou cette grande roue de fête foraine que l’on retrouve dans ma toile de 2012 « Promenade nocturne ». Des ados avancent sur une route boueuse et marchent vers cette roue qui est pour moi le symbole de la conception cyclique du temps. Il y a dans cette œuvre un parallèle avec notre questionnement sur le sens qu’on doit donner à sa vie.
B!B!: Tu sembles également t’intéresser plus particulièrement à l’adolescence mais également aux femmes. Pourquoi?
Olivier Larivière: Les femmes, c’est presque le sujet inévitable des peintres hommes. L’adolescence, quant à elle, est un âge de transition où on se pose beaucoup de questions sur soi, sa vie… Cela a donc beaucoup de sens par rapport à ce que je fais, avec ce que j’appelle des personnages en transit: ils ne savent pas où ils vont et nous non plus. Je pourrais d’ailleurs faire un lien entre cette thématique et celle des soirées que je peins, la soirée est un moment pendant lequel tout peut arriver.
B!B!: La sexualité revient également souvent dans tes œuvres. Pourquoi?
Olivier Larivière: Le sexe, c’est un besoin animal qui s’oppose à notre conception chrétienne de l’amour et là, on est en plein dans ce que je recherche: du direct. Et il y a aussi un questionnement sur le fait de pouvoir ou pas montrer ce genre d’image. Une peinture représentant un acte sexuel, pour moi, cela n’a rien de malsain, c’est la réalité. Cela se justifie autant qu’autre chose, cela a la même légitimité à être représenté qu’autre chose.
B!B!: Tu as travaillé dernièrement sur de très grands formats entre peinture, décor et sculpture. Quel est le sens de ta recherche?
Olivier Larivière: J’ai toujours souhaité solliciter le spectateur un peu comme pourrait le faire un écran de cinéma. Certaines de mes dernières grandes oeuvres s’inspirent ainsi d’éléments monumentaux comme les panneaux publicitaires ou les décors de Far West. Elles sont maintenues verticalement par des équerres au dos des châssis, épousent les reliefs des murs ou sont conçues pour être posées à même le sol. Spectateurs et œuvres ont ainsi le même statut. La perspective réelle se confond souvent avec la perspective représentée. Tout cela se fait en opposition avec toutes ces toiles suspendues à 1 m 20 du sol et qui ne laissent voir que les sabots du cheval et pas le cavalier. J’aime aussi l’idée qu’on puisse tourner autour des œuvres, que les œuvres ne se trouvent plus en périphérie, qu’elles deviennent presque des sculptures autour desquelles on tourne. Elles guident le spectateur dans l’espace d’exposition, créent un parcours et cachent autant qu’elles montrent.
B!B!: Quel sera le thème de ta prochaine série?
Olivier Larivière: Ce qui est en train d’évoluer dans mon travail, c’est le support. Après avoir peint sur des feuilles de journaux contrecollées pour mes grands formats, un support primaire, très fragile, à l’image des sujets que je peins, je continue mes expérimentations avec le papier. J’aimerais également pouvoir concevoir des pièces peintes du sol au plafond, sorte d’objet dans lequel le spectateur pourrait entrer. Je pense aussi à des œuvres à 360 degrés, toujours en suivant cette envie d’immersion.
B!B!: Les interviews Boum!Bang! terminent toujours par une sorte de portrait inspiré par le questionnaire de Proust croisé avec l’univers de l’artiste interviewé. Première question: Quel rêve fais-tu le plus souvent?
Olivier Larivière: Je ne rêve pas.
B!B!: Un lieu dans lequel tu aimes te promener?
Olivier Larivière: J’aime bien les lieux de transit comme les aires de stationnement et les lieux industriels, des lieux sur lesquels on ne porte pas vraiment de regard.
B!B!: Si tu étais un reptile, lequel serais-tu?
Olivier Larivière: Je ne me vois pas en reptile… Un chat plutôt.
B!B!: Si tu étais une couleur, laquelle serais-tu?
Olivier Larivière: Une couleur que les gens pourraient considérer bien dégueulasse comme le kaki… Mais je trouve que la plus belle phrase concernant la couleur vient de Eugène Delacroix quand il dit: « Donnez-moi de la boue des rues et j’en ferai de la chair de femme d’une teinte délicieuse. »
B!B!: Si tu étais un moment de la journée, lequel serais-tu?
Olivier Larivière: La nuit.
B!B!: Pour rebondir sur ta série « Musées », quel est ton lieu culturel de prédilection?
Olivier Larivière: J’ai longtemps dévoré les grands musées. Aujourd’hui, je vais plus volontiers dans les galeries. Je m’y sens plus proche de la production actuelle.
B!B!: Quelle musique écoutes-tu en boucle en ce moment?
Olivier Larivière: Nick Cave.
B!B!: Quels sont ta plus grande qualité et ton plus grand défaut?
Olivier Larivière: Je suis très certainement un peu têtu et tête en l’air. Pour les qualités, c’est aux autres de m’en attribuer.
B!B!: Si tu avais la possibilité de rencontrer un artiste aujourd’hui décédé, lequel déciderais-tu de rencontrer?
Olivier Larivière: Titien.
B!B!: Si tu changeais de profession, laquelle exercerais-tu?
Olivier Larivière: Architecte ou réalisateur.
B!B!: Et pour conclure, si je te dis Boum!Bang!, tu me réponds?
Olivier Larivière: Bang Bang.