« Je pourrais dire: si le lieu auquel je veux parvenir ne pouvait être atteint que sous la conduite d’un guide, j’y renoncerais. Car là où je veux véritablement aller, là il faut déjà qu’à proprement parler je sois. Ce que l’on peut atteindre sous la conduite d’un guide ne m’intéresse pas. » Ludwig Wittgenstein
Tapisserie: des formes africaines et de Guinée -un rêve-, des acacias blancs ou des étés ouzbecks, des damoiseaux du 11ème siècle qui de la poussière se réapproprient un territoire dit d’art mineur parce que domestique, au pire un état de fait lors d’une soirée (faire).
Le truc, c’est que le hasard est toujours plus malin, et ce fut quelques mois plus tard -later- que l’on tombait sur cette tapisserie. C’est vrai, cela faisait longtemps qu’il fallait passer à l’atelier.
Et Cette tapisserie a dit:
Il y a eu une aurore et un crépuscule, une langue maternelle et un dieu, une gamme peut-être.
Elle dit aussi animisme puis ontologie, elle le dit maintenant dans une langue qui n’est plus une langue, c’est un langage, un code. Elle dit qu’il y a eu des guerres, qu’il y a eu des avant-gardes et des futurs. Elle dit surtout qu’il y a eu des morts.
Ce code est un geste, Brut et érudit, presque drôle et Dada, post- et rupestre. Des découpes, blancs noirs gris, des lambeaux peut-être, une carte vue du ciel, un lieu domestique et non-binaire qui s’en fout, les pôles peuvent bien s’inverser: un fragment.
Il y a des broderies aussi. Il y a des formes, une antiquité et un futur. Ce sont les pictogrammes d’une civilisation anté-diluvienne ou à venir, ou bien un jeu d’enfant.
Nino Verdoliva, peintre et graveur, est discret comme un vieux chinois, car il prépare une évasion.
En musique, une fugue est faite de plusieurs voix et de contre-points. Sur ces broderies venues d’un proto-futur, les fils composent un canon, ici entendu comme une arme sourde pour aveugles; une anima presque.
Le carborundum est une technique de gravure qui réside dans le fait de coller des grains très durs de carbure de silicium sur la matrice en dessinant des formes; gardons cette définition technique en guise de biographie.
Récemment Nino Verdoliva a produit des gravures, des carborundums, qui ressemblent à une cartographie des risques, à un plan B de la matière.
L’espace est arrêté, le vide se retrouve juste avant, avant Max Planck et l’instant, juste avant de se réveiller, un Unheimliche abstrait qui se fend la poire, à table, entouré de primitifs flamands et d’un joueur de cartes balthusien.
Juste avant Planck et sans balancier, est-ce vide ou est-ce plein? Dans l’hypothèse où on ne peut le penser, est-ce parce que la pensée est mouvement? Le plein se soustrait-t-il au vide? Le carbone au papier?
Il y avait un rêve, un cauchemar plutôt, que quelqu’un avait fait. Cela se passe dans une rue et la personne doit s’échapper, de quoi, on ne le sait plus. Elle veut courir mais elle n’avance pas, les pieds chevilles orteils effectuent bien les mouvements, cependant rien n’y fait pas même un cri, la personne reste sur place. Ici, sur ces carborundum, il y a des traces de lutte, le spectre d’un déplacement, un synonyme du souvenir.
Au centre, la trace noire est une absence qui révèle ce que nous appelons communément matière. Cette matière est en Braille et elle raconte une guerre. Celle des lignes de faille, celle des lignes de fuite.
Fusils d’assaut M4, lance-grenades SPG-9 et semi-automatiques Glocks ont été, entre autres, les acteurs des frappes dites chirurgicales de la dernière guerre d’Afganistan (2001- 2014) et d’Irak.
« Cibles » est une série de sérigraphies et de gravures aquatintes pour laquelle Nino Verdoliva s’est servi de réelles images de tirs d’avions de ces deux guerres. Il les a trouvées sur le net et d’autres sont issues de jeux vidéo, comme autant d’armes de dé-réalisation massives accessibles à tous.
« Cibles », c’est un espace discontinu, la cellule vivante de ce qui est intact, la proportion d’un moment. Ce sont ,en négatif, des saints-sébastiens sans Dieux, des corps en soi, des cribles, des échos: une narration sans fiction.
« Cibles » c’est un chapitre d’un des mythes de collapsologie contemporaine. C’est une anonyme cosmologie de l’endroit, un Topos minimaliste et à l’envers, sans boussole, sans suds et sans nords.