L’œuvre de l’artiste Monica Cook est dérangeante. D’origine géorgienne, elle travaille à New York et ce qui sort de son atelier est pour le moins étrange. Ses peintures hyperréalistes sont plus évocatrices que des photographies, car elle parvient à rendre parfaitement la texture de ce qu’elle peint. Les corps nus ou presque sont couverts de chairs de poissons, de légumes, de pulpes de fruits. L’évocation est sensuelle; on ne peut qu’être tenté de se rouler avec elle dans ces mixtures organiques et entrer dans la danse des femmes représentées, danse orgiaque, sexuelle, quasi-violente, fantasmatique. Mais le surmoi revient à la charge et on est très vite dépassé par un fort dégoût pour ce massacre alimentaire; les poulpes envahissants et terrifiants rappellent la force de la nature qui s’éloigne de la sensualité pour atteindre les domaines de la peur et du cauchemar.
©2011 Monica Cook, All rights reserved under both, U.S. and international law.
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Son oeuvre évoque la rencontre brutale entre le motif de Saturne dévorant ses fils — peint notamment par Rubens — et la nature morte classique, avec ses corbeilles de fruits et ses poissons pendus, dont la fameuse Raie de Chardin est un exemplaire magistral. En hommage à l’amour de la peinture hollandaise pour le réel, l’œuvre de Monica Cook montre en même temps un nouveau parti pris dans l’art contemporain qui est celui du cru. Les natures mortes du XVIIème ou du XVIIIème siècles sont de petite taille, et jamais dégoûtantes, simplement analytiques et renseignées. Le Bœuf écorché de Rembrandt est un minuscule tableau montrant un bœuf suspendu, un bœuf à l’état de viande saignante. Pour ce sujet certes peu ragoûtant, Rembrandt a utilisé des couleurs sombres qui font que le cadavre apparaît comme fumé, donc distancié. Il perd de son horreur pour pouvoir être admiré à titre d’objet esthétique. L’art contemporain prend le contrepied de cette fumaison pour aller vers un réel parfois insupportable. L’œuvre de Damien Hirst l’illustre parfaitement. Il va jusqu’à exposer des cœurs de bœufs dans des bocaux présentés sur des étagères de clinique (Les Amants, 1991), et les réactions des visiteurs du Guggenheim de Bilbao sont éloquentes: on fuit devant un tel spectacle.
Peter Paul Rubens, Saturn, Jupiter’s father, devours one of his sons, Neptune (Saturne dévorant l’un de ses enfants), 1637, huile sur toile, 180x87cm, Museo Nacional del Prado ©
Jean-Baptiste Siméon Chardin, Der Rochen (La Raie), 1728, huile sur toile, 114 × 146 cm, Musée du Louvre ©
Rembrandt Harmenszoon van Rijn, Le bœuf écorché, 1655, huile sur toile, 350 x 500 cm, Musée du Louvre ©
Monica Cook peut provoquer cette même répulsion face à cet étalage sans pitié de cru, de sensualité animale cauchemardesque, absurde, étrange et provocante. Mais grâce à sa formidable technicité, elle parvient à rester fascinante, et ses images sont belles. Remarquons que le nom de l’artiste, Cook, signifie en anglais « cuisine ». Aurait-il influencé sa peinture?